La tentation était forte: un point d'exclamation architectural? Un geste créatif spectaculaire? Non, à la réflexion, mieux valait rester fidèle à la philosophie d'une intégration discrète et harmonieuse dans le paysage urbain.

Bien leur en prit. La firme Leblanc + Turcotte + Spooner, fondée pour l'occasion, a remporté le concours de design d'abribus pour la Société de transport de Montréal, dont les résultats ont été dévoilés le 18 janvier.

Tatjana Leblanc, Yolaine Turcotte et Daniel Spooner avait présenté un abribus sobre, vitré sur trois côtés. Le quatrième est entièrement occupé par une colonne rectangulaire au sommet biseauté, qui sert de module de communication. Un toit incliné s'y connecte, soutenu par deux poutres qui se prolongent en colonnes de même section.

«Il ne fallait pas que ce soit une sculpture ou une architecture qui ferait concurrence aux bâtiments, décrit Tatjana Leblanc, professeure à l'École de design industriel de l'Université de Montréal. Il devait dire: je suis un abri, pas un kiosque.»

Mais sobriété ne voulait pas dire fadeur.

La longue pente longitudinale du toit rappelle l'angle des chevrons de la nouvelle signature identitaire de la STM, explique Tatjana Leblanc. Cette instabilité apparente traduit le mouvement, le dynamisme du transport.

Sur l'écran de son ordinateur, elle montre le premier croquis de ce concept, dans lequel on reconnaît déjà la proposition finale. Son associée Yolaine Turcotte a longtemps hésité à y adhérer. Un toit incliné imposait des panneaux de verre latéraux de hauteur décroissante, coupé de biais à leur sommet. Le jury opposerait certainement l'objection d'un trop grand inventaire de panneaux, craignait-elle. La jeune designer industrielle, étudiante à la maîtrise, a apporté elle-même la solution: la partie supérieure des panneaux s'inséreraient dans les poutres du toit, qui en cacherait l'excédent. L'illusion de l'angle serait ainsi rendue avec un nombre restreint de panneaux parfaitement rectangulaires.

La colonne monolithique, qui sert de module de communication et de service, reçoit les inévitables affiches publicitaires rétro-éclairées. Sur sa tranche frontale, elle accueille les numéros et horaires des autobus - et éventuellement des afficheurs tactiles interactifs.

L'abri est éclairé par quatre rampes de diodes électroluminescentes. L'édicule peut être rendu autonome grâce à un panneau solaire et à un accumulateur caché dans la base de la colonne. Le troisième partenaire, l'ingénieur concepteur Daniel Spooner, s'est chargé de la résolution de ces problèmes techniques.

Les trois associés avaient observé l'habitude bien montréalaise de faire la file derrière le poteau d'arrêt, même sous la pluie, question de ne pas perdre la chance de trouver une place assise dans l'autobus. Deux idées ont surgi de ce constat.

Une version de leur projet se décline avec un toit qui se prolonge en surplomb, sous lequel les citoyens peuvent s'abriter en dehors de l'abri.

Les designers ont en outre proposé la possibilité de juxtaposer bout à bout deux ou plusieurs abris. L'inclinaison de leurs toits se trouve ainsi à rythmer ce long édicule.

L'opinion du jury

Le jury a apprécié l'heureux dosage d'efficacité et de discrétion du concept.

«Un abribus doit s'intégrer à l'ensemble des différents arrondissements et quartiers de la ville, constate Denise Vaillancourt, directrice exécutive, planification, marketing, communication de la STM, et coprésidente du jury. On ne veut pas nécessairement que ça attire l'attention, on veut que ça soit beau mais que ça disparaisse. Ce concept répondait bien à ce critère.»

La modularité de cet abribus a aussi contribué à rallier les suffrages. «La possibilité que le toit soit prolongé m'a personnellement séduite, ajoute Mme Vaillancourt. Les gens peuvent s'abriter de la pluie sans nécessairement entrer dans l'abribus.»

Prochain arrêt: fabrication de quelques prototypes, à la suite de l'appel d'offres qui sera lancé au printemps. La STM espère les tester in situ avant la fin de l'année.