Dans notre rubrique du 21 novembre, vous vous en souvenez peut-être, Paul cherchait une solution à son dilemme: comment, s'il décédait, garantir un toit à sa conjointe Geneviève, sans déshériter pour autant ses deux enfants nés d'un premier mariage.Nous n'avons pas l'habitude de revenir sur une analyse, mais la solution avancée par notre notaire invitée a fait l'objet d'avis divergents. Pour éclairer la chose juridique, nous y consacrons une seconde chronique.

Geneviève, donc, craignait d'être expulsée de la résidence familiale en cas de décès de son conjoint. Pour la rassurer, Paul songeait à lui céder la moitié de la maison, dont il est seul propriétaire. Mais si sa conjointe décédait la première, il n'aurait pas voulu se trouver lui-même à la merci des héritiers de celle-ci.

Résumons la solution qu'a proposée notre notaire. Paul vend la moitié de sa propriété à Geneviève pour une somme symbolique. En parallèle, une convention de copropriétaires stipule qu'en cas de rupture, Geneviève rétrocédera sa part à Paul pour la même somme symbolique. La convention prévoit également que si Paul meurt le premier, Geneviève pourra racheter sa part à ses héritiers, pour une somme tout aussi symbolique.

Dans son testament, Paul léguerait ses actifs à ses enfants - notamment un immeuble locatif et une assurance vie. Ses REER seraient dévolus à Geneviève, à condition, stipulerait le testament, qu'elle renonce au partage des acquêts et du patrimoine familial.

Une donation déguisée

Quelques notaires ont remis cette stratégie en question, dont Me Jeffrey Talpis, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal, docteur en droit et notaire.

Il ne voit aucun problème à ce que Paul cède la moitié de sa propriété à Geneviève pour une somme symbolique. Il s'agit cependant d'une donation déguisée, fait-il valoir. Les conséquences de ce constat déboulent sur la clause suivante.

«S'il y a rupture, Geneviève s'engage à rétrocéder sa part de la propriété à Paul, pour la somme symbolique de 1$.»

La condition de la rupture est probablement «potestative», souligne Me Talpis, c'est-à-dire qu'elle dépend de la volonté d'une des parties. Paul pourrait quitter la maison et se séparer, obligeant ainsi Geneviève à lui rétrocéder sa part. Dans les faits, Paul s'accorde ainsi la faculté unilatérale de reprendre ce qu'il a donné.

Dans ces circonstances, «cette clause est invalide», avise le juriste. «Donner un bien - ou une moitié de bien comme ici - en se réservant le droit à son entière discrétion de reprendre le bien viole une règle fondamentale en droit des donations: donner et retenir ne vaut.»

Me Archambault, qui avait utilisé le mot rupture par soucis de vulgarisation, convient que pour lever toute ambiguïté, le document devrait mentionner spécifiquement que la rétrocession s'appliquerait en cas de dissolution du régime matrimonial. Dès lors, «en cas de divorce ou de séparation légale, même si c'est le fait de monsieur, madame va obtenir ses droits patrimoniaux», soutient-elle.

Si Geneviève décède la première, Paul pourra racheter auprès de ses héritiers sa part de l'immeuble, pour la même somme de 1$. Et vice-versa.

Selon Me Talpis, ces clauses de la convention de copropriétaires constitueraient en fait un pacte sur une succession future. «C'est prohibé en droit québécois», dit-il.

Me Archambault diverge d'opinion sur cette question. Elle rappelle que les conventions d'actionnaires de compagnies prévoient fréquemment qu'au décès d'un actionnaire, les autres puissent racheter sa part. «Ça n'a jamais été calculé comme une spéculation sur une succession non ouverte», indique-t-elle.

«Quand on est copropriétaire d'un bien, poursuit-elle, on a le droit de dire comment on veut que ça se passe au décès parce qu'on ne veut pas être copropriétaire avec quelqu'un d'autre.»

Une autre avenue

Me Jeffrey Talpis propose une autre avenue pour assurer que la maison reviendrait entièrement au conjoint survivant.

Les époux, déjà mariés sous le régime de la société d'acquêts, devraient rédiger un contrat de mariage, ou le modifier s'il existe déjà. Dans ce contrat, chacun des époux ferait au survivant la donation à cause de mort de la moitié indivise de l'immeuble qu'il détient. «Afin de mieux rassurer le conjoint survivant, la donation à cause de mort pourrait aussi inclure la créance résultant de la liquidation du patrimoine familial», ajoute le juriste.

Le contrat stipulerait en outre que la donation serait irrévocable.

La donation à cause de mort est aussi un pacte sur une succession future. «Sauf que selon la loi, précise le professeur, elle est valide si elle est faite dans un contrat de mariage.»

Rien n'est parfait: cette approche ne résout pas le cas d'une toujours possible rupture. Lors d'une séparation de corps, le tribunal pourrait annuler la donation. Et en cas de divorce, les donations à cause de mort entre époux deviennent caduques.

Une clause du contrat de mariage pourrait stipuler que ces donations demeureront irrévocables en cas de divorce, mais «il se pourrait qu'un juge annule une telle stipulation», reconnaît Me Talpis.

Voilà, nous avons présenté les - principaux! - arguments des uns et des autres et nous fermons ici le débat. Conclusion du cas? Aucune qui soit définitive, sinon celle-ci: n'improvisez pas vous-même votre testament!LA SITUATION

Dans notre rubrique du 21 novembre, Paul cherchait comment garantir un toit à sa conjointe s'il décédait, sans déshériter pour autant ses deux enfants nés d'un premier mariage. La solution proposée par notre notaire invitée, Me Denise Archambault a suscité la réaction de certains juristes.

Nous présentons les observations de Me Jeffrey Talpis, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal, docteur en droit et notaire, ainsi que le point de vue de Me Archambault.

Par ailleurs, Me Denise Archambault précise qu'à la dissolution du mariage (séparation, divorce ou décès), contrairement à la chronologie de règlement qu'elle exposait, il y a lieu de partager le patrimoine familial d'abord, ensuite de liquider le régime matrimonial et enfin de régler la succession. Toutefois, dans la plupart des cas de société d'acquêts - comme celui de Paul - l'ordre n'affecte pas le résultat.