Depuis trois ans, les compagnies d'assurances ont lancé des produits très audacieux pour se tailler une part du marché des fonds distincts, une industrie de 64 milliards au Canada. Mais la crise financière a ébranlé l'échafaudage de certains produits qu'ils avaient dessinés. Les assureurs sont en train de retirer des tablettes les garanties les plus généreuses.

Les assureurs tirent de dures leçons de la débâcle des marchés financiers. En ce moment, ils sont obligés de refaire leurs devoirs et d'effacer les protections les plus généreuses de leurs fonds à capital garanti. Cette semaine, Manuvie a jeté à la corbeille la version originale de RevenuPlus, son produit vedette qui avait révolutionné l'industrie lors de son lancement en grandes pompes en 2006.

Depuis le printemps, Desjardins Sécurité financière et la Financière Sun Life ont aussi biffé les protections de leurs fonds garantis, qu'on appelle aussi fonds distincts. Transamerica devrait retoucher bientôt sa gamme de fonds 5 à vie.

Et d'ici quelques jours, AXA retirera des tablettes les 12 fonds de sa famille Cumulàvie, que l'assureur avait mis au monde il y a seulement un an et demi.

«Pour nous qui se lançait dans les fonds distincts, c'était comme si on ouvrait un restaurant de hamburgers en pleine crise de la vache folle», illustre Robert Landry, vice-président exécutif, assurance-vie et services financiers, chez Axa Assurances.

Prudente, AXA a préféré suspendre la distribution des fonds qui avaient attiré sept millions de dollars (les contrats existants seront d'ailleurs honorés), quitte à revenir dans le marché lorsque l'industrie des fonds distincts se sera stabilisée.

 

Les rouages des fonds distincts

 

Les fonds distincts sont des proches parents des fonds communs de placement. Mais ils sont considérés comme des produits d'assurance, car ils sont assortis d'une protection qui garantit le capital de départ (à 75% ou à 100%) au moment du décès de l'investisseur ou à l'échéance de son contrat (souvent 10 ans après l'investissement initial).

Il y a trois ans, Manuvie a innové en greffant aux fonds distincts une «garantie de retrait minimum», qui assure non seulement le capital, mais aussi le versement de revenus annuels, un peu comme une rente.

Prenons l'exemple fictif de Pierre pour mieux comprendre la mécanique. À 55 ans, Pierre investit 100 000$ dans une gamme de fonds distincts. Cette valeur est garantie (à 75% ou à 100%) par l'assureur.

Pendant 10 ans, Pierre ne touche pas à son argent. Pour chaque année sans retrait, l'assureur bonifie sa valeur garantie de 5%, soit de 5000$ par an. Après 10 ans, sa valeur garantie s'élève donc à 150 000$... même si son portefeuille est en baisse.

D'autre part, si les marchés financiers vont bien, l'assureur cristallise les gains accumulés dans le portefeuille de Pierre, à tous les trois ans. Sa valeur garantie est alors réinitialisée au même niveau que la valeur marchande.

Après 10 ans, disons que la valeur garantie de Pierre s'élève à 150 000$. Pierre a 65 ans, il prend sa retraite et il commence à puiser dans son fonds. L'assureur s'engage alors à lui verser des revenus équivalents à 5% de la valeur garantie. Pierre touchera donc 7500$ par année, jusqu'à la fin de ses jours.

Notez que certains assureurs offrent d'autres options de décaissement (ex: 7% par an durant 14 ans, ou 4% à vie dès l'âge de 45 ans).

 

Des garanties rayées de la carte

 

Les fonds à garantie de retrait minimum ont fait fureur auprès des baby-boomers qui approchent de la retraite. Depuis trois ans, sept autres assureurs ont lancé des produits similaires, notamment Helios chez Desjardins Sécurité financière, Sunwise à la Sunlife, et EcoFlextra à l'Industrielle-Alliance.

«Il y a eu beaucoup de concurrence. Certains ont été agressifs, en utilisant des hypothèses très serrées. Avec la turbulence des marchés financiers, les garanties de capital leur coûtent cher. Le design des produits est remis en cause», explique Gilles Bernier, professeur à l'Université Laval et titulaire de la Chaire d'assurance et de services financiers L'Industrielle-Alliance

Cette semaine, Manuvie a donc cessé de distribuer la version originale RevenuPlus. «Fini les garanties généreuses. L'assureur a évalué ses risques liés aux 20 milliards sous gestion de toutes ses familles de fonds garantis et ne peut plus continuer à en offrir autant», constate Fabien Major, conseiller en sécurité financière au cabinet Major gestion d'actifs qu'il a fondé il y a 10 ans.

En clair, l'assureur n'offre plus de protection du capital 10 ans après l'investissement initial, ce qui permettait aux clients de quitter avec leur valeur garantie cristalisée, malgré une baisse de leur portefeuille.

Désormais, les clients qui veulent profiter de la garantie doivent conserver leur investissement et décaisser leur capital graduellement avec les retraits garantis. Mais, ils devront payer un peu plus cher, «afin de compenser en partie l'augmentation des coûts du produit». Les frais annuels ont grimpé de 0,10%, pour la version originale et la version modifiée de RevenuPlus.

De son côté, Desjardins Sécurité financière a éliminé la garantie à 100% après 10 ans, pour l'ensemble de ses fonds distincts. «C'est la garantie qui amène le plus de volatilité et de risque dans les résultats des assureurs. Et avec les événements de l'automne dernier, les assureurs ont revu leur appétit pour le risque», avoue André Langlois, le vice-président du développement et de la mise en marché, assurances et épargnes.

En outre, Desjardins a éliminé l'option de décaissement la plus populaire d'Helios, soit l'option de retraits de 7% par an sur 15 ans. Maintenant, les clients toucheront 4% à vie s'ils retirent dès 45 ans, 5% à vie à partir de 65 ans, et 6% à partir de 75 ans.

Cet été, la Financière Sunlife a aussi a modifié son offre. Les frais annuels des fonds distincts ont gonflé (jusqu'à 0,3% de hausse selon le fonds).

L'assureur a éliminé la version originale de Sunwise. Dans la version revue et corrigée, la garantie du capital à 100% est disparue, et les portefeuilles ne peuvent plus dépasser 70% en actions, question de réduire la volatilité.

Ceci dit, les contrats actuels restent en vigueur et les garanties seront honorées. Il en va de même chez Manuvie et Desjardins.

Par ailleurs, d'autres assureurs n'ont pas l'intention de modifier leurs fonds distincts. C'est le cas de l'Industrielle-Alliance dont la famille EcoFlextra n'a jamais offert de garantie après 10 ans. «Nos contrats n'ont subi aucun changement. Nous sommes toujours très confortables avec les caractéristiques et la tarification», indique Jacques Carrière, vice-président à l'Industrielle-Alliance.

 

Que reste-t-il de bon?

 

Malgré tous ces bouleversements, les fonds distincts ont encore de l'attrait, selon Fabien Major, qui est aussi l'auteur d'un blogue sur les produits financiers (www.majorblog.net). À la demande de La Presse Affaires, il a passé en revue les nouvelles caractéristiques des fonds assortis d'une garantie de retrait minimum (voir tableau).

Après comparaison, quels sont ses meilleurs choix? Il suggère la famille SunWise, de Sunlife et C.I., car elle offre un très bon choix de fonds (ex: C.I. revenu élevé, Harbour croissance) à des coûts relativement faibles. «Mais je ne prendrais pas la garantie à 75% sur 10 ans parce que les frais sont déraisonnables.»

La famille Astra de SSQ retient aussi son attention. Les frais sont raisonnables. On peut investir jusqu'à 90% en actions. Et la période de bonification est illimitée. Même s'ils ont commencé à décaisser, les retraités peuvent encore y avoir droit dans la mesure où ils ne font pas de retrait durant une année.