Vous croyez avoir des ennuis avec la liste d'articles scolaires de votre enfant? Les commerçants se débattent tout autant, voire plus encore. Portrait d'une autre rentrée.

Pour les commerçants, la rentrée scolaire commence en hiver. C'est alors qu'ils doivent choisir et commander les articles que les parents s'arracheront -ou délaisseront totalement- en août suivant. «À chaque mois de février, on tient une exposition dans un centre de congrès où les responsables de l'ensemble de notre réseau viennent faire leurs achats, décrit Alain Lafortune, premier vice-président achat et marketing chez Jean Coutu. On a des stands de rentrée scolaire et nos fournisseurs sont là.»

Malheureusement, les écoles ne produisent leurs listes de fournitures scolaires que quatre mois plus tard. «C'est sûr qu'on aimerait les avoir bien avant, car nos placements scolaires sont faits au mois de mars», déplore Bertrand Jobin, copropriétaire de la libraire Monic, à Pointe-aux-Trembles.

Il s'ensuit certains écarts entre la demande et l'offre, quand les bises d'automne sont venues. «On découvre les nouveautés et les modifications en même temps que tout le monde, ce qui cause des surprises», poursuit le libraire.

Un petit exemple? L'école secondaire de son quartier avait coutume de demander la calculatrice Sharp 531W. «J'en vendais plus de 150. À un moment donné, un prof a voulu plutôt la TX30A de Texas Instruments. Je me suis réveillé avec 100 Sharp de trop.»

Le défi des gros: s'adapter au marché régional

Chez les bannières nationales, les acheteurs passent commande pour l'ensemble de la chaîne. Chez Bureau en gros, par exemple, tous les magasins ont sensiblement le même inventaire partout au Québec. «C'est pareil à 90 %, mais il y a de petites différences sur certains produits, précise Rudel Caron, directeur vente et exploitation pour le Québec. Chaque année, les magasins ont la possibilité de commander certains articles qui s'adaptent à leur marché. Dans le West-Island, par exemple, les cahiers sont un peu différents.»

Les responsables des divers magasins peuvent faire part de leurs observations sur leur marché propre et les demandes de leurs clients. «On voit des petites améliorations d'une année à l'autre, constate Nathalie St-Pierre, directrice divisionnaire de la succursale de Greenfield Park. Par exemple, la boîte à lunch qu'ils ont sortie cette année était trop petite. On leur a fait le commentaire. Aux États-Unis et en Ontario, ils ne semblent pas vivre la même chose que nous.» Ici, décrit-elle, les parents cherchent des sacs à lunch spacieux, munis de nombreuses pochettes pour les collations du matin et de l'après-midi.

Une fois la poussière retombée, les chaînes font le retour sur le retour à l'école. «On se demande où on a manqué notre coup, explique Rudel Caron. Qu'est-ce qui était en demande cette année? Puis on s'adapte l'année suivante. Par exemple, les sarraus ont commencé à être en demande il y a deux ou trois ans, et maintenant, plusieurs magasins en ont.»

Le défi des petits: s'adapter à l'école voisine

Les petits commerçants locaux comme la librairie Monic doivent subir la concurrence féroce des grandes chaînes, qui réduisent les prix sur les articles les plus visibles : feuilles mobiles et cahiers, notamment. «C'est ridiculement peu cher», déplore Bertrand Jobin. «Le volume d'affaires est élevé mais comme on vend tout à rabais, il y a peu de profits et c'est beaucoup de service et de taponnage. C'est aussi un risque financier parce qu'il faut commander beaucoup d'inventaire à l'avance.»

Parce qu'ils visent la clientèle locale, les petits commerçants doivent répondre aux mieux aux demandes des écoles de leur quartier. «Ils demandent des choses très précises, quelquefois trop», constate le libraire.

Il cite la pâte à modeler odorante d'une marque précise, qu'une école primaire a exigée. Or, le fabricant, en difficulté financière, avait interrompu temporairement sa production. Bertrand Jobin l'a remplacée par une autre marque. «Et là, on a reçu un téléphone de l'école parce qu'ils font quelque chose de spécial avec ça.» La pâte odorante servait aux exercices de reconnaissance des fruits à la maternelle.

Le produit fantôme

Grandes chaînes comme petits commerces font face à la même difficulté: «Les listes sont souvent mal faites», soutient Nathalie St-Pierre.

Le produit fantôme en est un exemple - numéro d'article incorrect, produit discontinué... «On se fait encore demander le duo-tang gris mais ça n'existe plus depuis des années, dit-elle. Les parents s'arrachent les cheveux.»

Rudel Caron, lui-même père de famille, suggère aux parents de ne pas s'inquiéter si cet indispensable duo-tang violet n'est pas disponible. Il est inutile de visiter trois magasins: les grandes chaînes distribuent à peu près les mêmes produits, assure-t-il. «Prenez le bleu pâle et inscrivez violet dessus», dit-il. De toute manière, tous les parents de la classe feront face au même problème et l'enseignant devra ajuster ses exigences au marché.

Sinon, ce sera un fournisseur de longue date qui disparaîtra. Les règles de plastique Buffalo, spécifiées sur les listes depuis Marguerite Bourgeoys, ont soudainement disparu du marché avec leur fabricant. «On est obligé de trouver des équivalents», relate Bertrand Jobin. Et il faut convaincre les parents que les 30 cm du nouvel objet sont bel et bien de longueur standard.

L'article surprise

Soudainement et sans avertissement, un article inconnu l'année précédente devient indispensable. «Cette année, tout le monde a demandé les crayons Pentel effaçables à sec, affirme Bertrand Jobin. J'en ai commandé des quantités phénoménales de plus que l'an passé, et malgré ça, il a fallu se rabattre sur d'autres produits. Ça fait la même job, mais certains parents suivent la liste religieusement.»

Nathalie St-Pierre, sur la Rive-Sud, a dû elle aussi se débattre avec un article semblable. «Cette année, on nous a demandé un crayon à acétate avec une efface au bout. C'est nouveau, je ne sais pas qui fait ça mais il semble que les professeurs le connaissent et je vais essayer de les avoir pour l'année prochaine.»

Le lexique

Le très variable lexique scolaire est un autre obstacle aux communications entre commis et clients. «On est des guichets d'information, ce n'est pas évident, confie Nathalie St-Pierre. On engage des nouveaux à chaque année et ils sont bien étourdis quand j'essaie de leur donner toutes les terminologies possibles de chaque produit. Et chaque année, il y a une école qui m'épate.»

Sa surprise de la rentrée: acétate : «On a toujours appelé ça acétate ou acétate simple. Tout à coup apparaît feuille de plastique. On ne sait pas trop si c'est une feuille protectrice, un acétate, une pochette...»

Le fameux duo-tang -une marque de commerce- est sans doute le meilleur exemple. «Duo-tang, porte-folio-tang, porte-folio à pochette, couvert de présentation, chemise de présentation à trois trous avec pochette: ils peuvent utiliser quatre mots différents d'une école à l'autre», exprime Bertrand Jobin.

Même l'Office de la langue française en propose deux : classeur à attaches et reliures à attaches.

La nouvelle tendance

Chaque année, une nouvelle tendance s'installe, à laquelle il faudra répondre. Bertrand Jobin observe que pour couvrir les manuels scolaires, les parents délaissent de plus en plus les rouleaux de pellicule plastique. Ils leurs préfèrent des jaquettes de plastique dans laquelle on glisse le volume. «C'est étonnant parce que c'est beaucoup plus cher. Mais c'est un souci d'économie de temps.»

Ou encore, sans rime ni raison, une couleur précise prendra la vedette. «Il y a deux ans, ils demandaient des cartables verts et bleus, poursuit-il. Cette année, c'est des cartables rouges. Je me suis fait vider et les fournisseurs sont en rupture de stock. Oubliez ça, les cartables rouges.»

C'est noté.