Aluminium et bleuets. C'est un cliché, mais au Saguenay, on s'y frappe tôt ou tard, y compris en design.

Il y a encore deux ans, la région ne comptait aucun designer industriel. «C'est une denrée qui n'existait pas», confirme la présidente de RS Métal, Marlène Deveaux. Elle était alors en quête d'un consultant pour la conception d'une collection d'accessoires de salle de bains dont elle avait le projet.

L'entrepreneure de Jonquière cherchait à diversifier les activités de son entreprise de peinture de métaux en sous-traitance - c'est elle qui a peint les vélos Bixi, fabriqués par Cycles Devinci, à Chicoutimi. Elle a trouvé l'inspiration en pestant contre les supports trop petits pour accueillir les brosses à dents de ses quatre enfants.

 

Dès lors, le matériau allait de soi: «Je viens du Saguenay, je vais les faire en aluminium.»

À défaut de denrée locale, un fabricant de la région lui a fourni les cartes professionnelles de quatre designers industriels de l'extérieur. Elle a appelé le premier par ordre alphabétique: Alto Design.

La firme montréalaise a conçu une élégante gamme où des plaques d'aluminium perforées s'insèrent dans des blocs de noyer ou d'érable. Le bois est torréfié pour résister à la moisissure.

Les formes dépouillées ne laissent paraître aucun indice des techniques d'assemblage: les matériaux semblent se marier de plein gré. C'était là le principal défi. «Quand on regarde un produit, il a l'air très beau, épuré, simple, mais derrière ça, pour arriver à quelque chose qui a l'air bien réalisé, il faut faire des efforts pour cacher ces assemblages et rendre le tout très discret», décrit le designer industriel Daniel Pellerin. Il a déployé toute la palette des vis cachées sous les produits, des insertions dans les plaques d'aluminium, des soudures invisibles, et autres trucs de prestidigitation.

La gamme de 22 accessoires, déposés ou accrochés au mur, a remporté le prix du nouveau produit dans la catégorie environnement de vie au Salon international du design d'intérieur de Montréal (SIDIM) en 2008. Ralentie par la conjoncture économique, Marlène Deveaux espère lancer la fabrication de sa collection Devo à l'automne.

Missionnaire au Saguenay

Désormais convaincue de l'utilité du design, Marlène Deveaux allait encore faire la preuve de son dynamisme. Elle est membre du conseil d'administration d'une petite entreprise issue d'un centre de haute technologie, Idea Innovation PME, fondée il y a un an et demi et vouée à la création de produits régionaux au Saguenay. «Je leur ai dit que si on n'était pas capables d'avoir accès à un designer industriel dans notre région, on était morts», rappelle-t-elle.

Elle a pris les choses en main et a fait appel à Mario Gagnon, à la fois président d'Alto design et de l'Association des designers industriels du Québec. «Je lui ai dit: tu vas nous dénicher quelqu'un de la grande ville qui veut s'en venir en région. C'est lui qui nous a trouvé Martin Portelance.»

Ce dernier travaillait alors en Estrie chez Bombardier produits récréatifs. «J'avais le goût de changer, de partager avec des entreprises ce qu'est le design industriel, d'essayer de les convaincre de ce que ça pouvait leur apporter, explique-t-il. Il y a un petit côté missionnariat là-dedans.»

Mais les conversions n'ont pas eu lieu aussi vite qu'il l'espérait. «Honnêtement, c'est un peu plus long que je le pensais», admet-il.

Il fallait commencer par la base: expliquer ce que fait un designer industriel. «Ils pensent que c'est un dessinateur technique ou un décorateur d'usine, poursuit-il. D'autres le voient comme quelqu'un avec des souliers pointus, des lunettes roses et qui va sortir des idées irréalisables.»

Peu à peu, les entreprises comprennent son utilité. Ou en sont convaincues par Marlène Deveaux. Elle a recommandé à Idea un collègue, fabricant d'échelles télescopiques pour les camionnettes de services de télécoms. «Il m'a dit que c'était juste une échelle, raconte-t-elle. Non, ce n'est pas juste une échelle. Déjà, avec un bon choix de couleur, l'acheteur est content d'avoir une belle échelle.»

Idea a fait davantage et s'est aussi attaquée à la nacelle qui s'y fixe. «L'entreprise pensait faire une copie de ce qui existait déjà sur le marché, mais on leur a amené une nacelle plus aérodynamique, plus ergonomique, visuellement différente de ce qui existe déjà», décrit le designer.

Peu d'entreprises fabriquent des produits finis au Saguenay, mais plusieurs ateliers d'usinage ou de transformation sont prêts à diversifier leurs activités. Un fabricant d'outils pneumatiques a confié la conception d'un outil de rivetage, qui montre maintenant un physique vigoureux, adapté à sa fonction.

Une PME qui transforme des motos en choppers a décidé de réaliser son propre modèle en aluminium. Idea a proposé différents concepts et le projet suit son cours.

Idea a aussi amélioré la machine à cueillir les bleuets d'un petit fabricant local. «La première phase a consisté à optimiser ce qu'ils avaient déjà et ce faisant, on a constaté beaucoup de lacunes, explique Martin Portelance. La deuxième plateforme de son produit va intégrer beaucoup plus de design industriel.»

Peu à peu, la récolte s'élargit.