En janvier 2008, le bureau du designer industriel Claude Mauffette débordait de modèles de bacs de recyclage en toile de plastique - des sacs à fonds rigides montés sur une structure tubulaire.

La semaine dernière, il était plutôt encombré de contenants en plastique, à mi-chemin entre le cabas et le panier à lessive. Malgré les apparences, l'un est l'ancêtre de l'autre. Entre les deux, un an et demi d'anxiété et de travail acharné.

 

La plus récente mouture du futur bac de recyclage montréalais a été présentée aux médias lundi dernier. Au cours des prochaines semaines, 3000 de ces contenants semi-souples, moulés par injection en polypropylène, seront distribués aux résidants de quatre arrondissements, pour en tester les performances. Le contenant de 72 litres pèse environ le même poids qu'un bac classique de 55 litres, soit 1,7 kg.

Il montre une base elliptique et un sommet en arc de cercle, fermé par un couvercle muni d'une poignée. Ce couvercle s'articule autour d'une longue charnière continue, qui court sur toute la longueur d'une paroi. C'est l'élément le plus ingénieux du produit et il n'apparaissait pas sur les modèles initiaux.

Il reprend le principe de la «boîte en forme d'oreiller», mieux connue comme emballage de chaussons aux pommes chez McDonald.

La courbure de la paroi et l'arc du couvercle se joignent en une charnière dont la géométrie n'est stable qu'en deux positions: ouverte ou fermée. Pour passer de l'une à l'autre, il faut induire une déformation qui agit comme un ressort.

Pour vider le bac, le collecteur le saisit par la poignée du couvercle, le soulève et place son autre main dans une seconde prise, creusée sous la base.

De son côté, le citoyen a le bénéfice d'une poignée de transport percée au sommet d'une paroi.

Une longue métamorphose

Claude Mauffette avait remporté le concours organisé pour la conception du nouveau bac de recyclage de la Ville de Montréal. Son concept était audacieux mais avait séduit le jury: plutôt qu'un bac rigide, il proposait un contenant souple, haut et mince, portable d'une main dans les escaliers. Un fermoir le pinçait à son sommet, pour éviter que son contenu soit semé à tous vents. Pour le vider, le collecteur le saisissait pas une poignée latérale, ce qui dégageait en même temps le fermoir.

Ce concept gagnant avait été présenté aux médias en janvier 2008.

Un événement heureux. Mais Claude Mauffette riait jaune. Il lui fallait encore mettre la chose au point. «On était conscient que le modèle avec lequel on avait gagné le concours avait plein de qualités, mais que ce ne serait pas celui qui se retrouverait en production, relate-t-il. Stressant. On avait beaucoup de pression.»

Les faits lui ont rapidement donné raison. Quand il a demandé à un manufacturier spécialisé dans les sacs une estimation des coûts de fabrication, la guillotine est tombée: 60$ par unité. Impasse.

Pour réduire les coûts d'une production en grande série, la réponse typique est le moulage de plastique par injection. Mais il s'agissait dès lors d'un tout autre produit.

Après quelques mois fiévreux, nouvelle présentation publique, en novembre 2008. Cette fois, la toile tendue a cédé sa place à deux parois ajourées, articulées sur leurs arêtes par deux tiges. C'est avec ce modèle qu'est apparu le couvercle elliptique. Le produit comptait six pièces différentes.

Claude Mauffette nourrissait alors deux préoccupations: la prise au vent à vide et le rangement à plat. Le fond du contenant montrait la même courbure en arc de cercle que le couvercle, afin de se replier selon le même principe.

Pour tester la prise au vent, le CRIQ a fait des tests avec un ventilateur de canon à neige. Surprise: le bac au fond plein ne se comportait pas plus mal que celui au fond ajouré. Sur un autre front, le comité de suivi de la Ville de Montréal a relevé une conséquence imprévue du repliement à plat: dans la rue, sous 4 cm de neige fraîchement tombée, le contenant aplati «se transforme en crazy carpet, explique Claude Mauffette. Ce qui semblait une qualité est ressorti comme un empêchement majeur.»

Tous ces facteurs l'ont amené à faire un pas de plus: mouler le bac en une seule pièce, avec un fond plat.

C'est ce dernier avatar qui sera testé au cours des prochains mois.

Après avoir franchi tous ces obstacles, Claude Mauffette est à peine moins nerveux. Il sait qu'avec un projet aussi innovateur, il marche sur des oeufs. La longue charnière intégrée doit résister aux épreuves du temps et du froid. Le contenant doit avoir une durée de vie de sept ans.

Le designer connaît déjà certains des éléments à améliorer. La «poignée du collecteur», au centre du couvercle, est trop étroite pour les mains gantées des vigoureux travailleurs. «Pourquoi on ne l'a pas prévu plus tôt? Parce qu'on n'y avait pas pensé», reconnaît-il.

Au finish - ou près du finish -, le résultat ressemble bien peu à l'idée de départ. Mais l'esprit est demeuré, soutient Claude Mauffette. «C'est ça, le processus de design industriel. Et il y a en plus un côté inventif important: la Ville a pris un brevet sur ce produit.»

 

Le modèle actuel, injecté en une seule pièce. Le couvercle est relié à la paroi par une ligne amincie, qui fait office de charnière. Les courbures de la paroi et de l'arc du couvercle se joignent en un pli dont la géométrie n'est stable qu'en deux positions : ouvert ou fermé.