Les actions privilégiées mettent l'eau à la bouche des investisseurs qui veulent épicer le rendement de leur portefeuille. Et présentement, ils ont un grand choix au menu.

Rarement a-t-on vu autant d'émissions d'actions privilégiées, au Canada. Ces derniers mois, les sociétés ont lancé plus de 35 émissions, pour environ 6 milliards de dollars. Ce n'est qu'un début: il reste encore 9 milliards à venir, estime Michel Doucet, vice-président du groupe de conseils en portefeuille de Valeurs mobilières Desjardins.

 

Ce sont surtout les banques qui émettent des actions privilégiées, pour solidifier leur base de capitaux propres et pour rehausser leur ratio de solvabilité (Tier 1 Capital Ratio). «Pour les aider, le gouvernement a fait passer le plafond d'actions privilégiées de 30 à 40% dans le calcul des fonds propres», explique M. Doucet.

Plutôt que d'émettre des actions ordinaires à vil prix (ce qui diluerait tous les actionnaires actuels), les banques préfèrent émettre des actions privilégiées.

Plus précisément, elles vendent des actions privilégiées perpétuelles (sans échéance) avec un taux fixe de 6,25% pour cinq ans (parfois plus, selon l'émetteur). Ensuite, le taux est ajustable aux cinq ans, selon une formule prédéterminée.

«C'est excellent pour l'investisseur», assure M. Doucet, car avec la génération précédente de privilégiées, les investisseurs ne savaient pas à l'avance à quel taux le dividende serait rajusté.

Mais, les actions émises sont aussi rachetables au gré de l'émetteur, tous les cinq ans. Les banques risquent fort de se prévaloir de cette clause. «La probabilité que ce soit renouvelé dans cinq ans est faible, parce que ça coûte beaucoup trop cher aux émetteurs. Dans un monde normal, ils ne payeraient jamais autant», dit M. Doucet.

Mais, peu importe, un rendement supérieur à 6% pour cinq ans fait saliver les épargnants.

Il faut dire que l'univers des placements garanti est insipide. Les obligations du gouvernement du Canada de cinq ans ne rapportent que 1,9%. Un certificat de placement garanti d'une banque verse à peine 2,2%. Au mieux, l'épargnant obtiendra 3,5% dans une banque virtuelle, comme ING Direct.

Une manne d'émissions

Il y a donc beaucoup d'engouement de la part des investisseurs de détail pour les actions privilégiées.

D'ailleurs, la Banque Royale et la Banque HSBC, qui ont toutes deux annoncé des émissions cette semaine, se sont permis de gonfler la taille de leur émission pour satisfaire «la forte demande des investisseurs».

La Royale vendra pour 325 millions de dollars d'actions privilégiées, le 1er avril prochain. Elle émettra 13 millions d'actions (série AV) qui verseront un dividende non cumulatif de 6,25% par an, d'ici cinq ans. Après quoi les titres seront rachetés par la banque ou encore leur taux de dividende sera ajusté tous les cinq ans à 4,42% au-dessus du taux des obligations du Canada de 5 ans.

De son côté, la Banque HSBC émettra, le 31 mars, 7 millions d'actions privilégiées (série E) à 6,6% dont le taux de dividende sera rajusté tous les cinq ans, à 4,85% au dessus des obligations gouvernementales.

Cette semaine, la TD a aussi lancé une émission de 8 millions d'actions privilégiées (série AK) à un taux de dividende non cumulatif de 6,25%, ajustable aux cinq ans à 4,33% au dessus des obligations du Canada. La clôture de la transaction de 200 millions$ est prévue le 3 avril.

Pour quel investisseur?

À quel type d'investisseur conviennent les actions privilégiées? «En temps normal, ça s'adresse à des investisseurs en phase de décaissement qui cherchent des flux de capitaux réguliers, et qui veulent tirer parti d'un rendement avantageux sur le plan fiscal», répond M. Doucet.

Mais en ces temps de crises, les actions privilégiées constituent une avenue pour tous les investisseurs qui ont été frappés par la chute boursière.

«Le taux est intéressant, surtout après impôt», indique Alexander Kastanis, analyste au service de recherche de gestion de patrimoine de la Financière Banque Nationale.

Comme les dividendes donnent droit à un crédit d'impôt, on multiplie leur rendement brut par environ 1,3 pour comparer leur rendement après impôt à celui d'une obligation dont les des intérêts sont pleinement imposables. Ainsi, le dividende de 6,25% équivaut à plus de 8% d'intérêt, ce qui est au dessus des taux en vigueur sur le marché obligataire.

«Les rendement sont attrayants, c'est certain. Mais il faut utiliser les actions privilégiées avec modération», croit François Rainville, directeur et gestionnaire de portefeuille chez BMO Banque privée Harris.

Le hic, c'est que les actions privilégiées sont particulièrement vulnérables à une remontée de l'inflation. «Ça peut faire baisser énormément le prix de l'action», dit-il.

Aux investisseurs patients, il conseille de favoriser davantage les actions ordinaires qui versent des dividendes encore plus élevés que les privilégiées. «Ce n'est pas impossible que les banques coupent leur dividende sur les actions ordinaires, si la récession reste forte jusqu'en 2010», avoue-t-il. Mais les risques sont faibles. Et si la crise se résorbe, les actionnaires ordinaires profiteront de la relance, bien plus que les autres.

Les meilleurs choix

Comment choisir les meilleures actions privilégiées? Quels sont les pièges à éviter?

1- N'y allez pas trop fort. Présentement, M. Doucet n'hésiterait pas à remplacer les obligations de sociétés par des actions privilégiées, qui formeraient environ 15% d'un portefeuille équilibré. De son côté, M. Rainville conseille de ne pas dépasser de 5 à 10% du portefeuille en actions privilégiées.

2- Visez les actions privilégiées à taux ajustable, celles qui sont émises, ou celles qui se négocient sur le marché secondaire. Les perpétuelles classiques y goûteront davantage si l'inflation revient. L'investisseur sera coincé éternellement avec son maigre dividende, à moins de vendre l'action à rabais.

3- Diversifiez le mieux possible, même si 80% des actions privilégiés sont émises par des institutions financière. Achetez des titres de plusieurs émetteurs, des banques, des assureurs.

Il existe un indice négocié en Bourse qui permet d'investir dans un panier diversifié d'actions privilégiées, le Claymore S&P/TSX CDN Preferred ETF. Mais M. Doucet ne le recommande pas, car il contient beaucoup de perpétuelles classiques. Il vaut mieux faire sa propre sélection.

4- Visez les sociétés les plus solides. «Il faut acheter des actions cotées P1 ou P2. Sinon on ne touche pas à ça», dit M. Doucet.

5- Portez attention aux petites clauses. «Les actions privilégiées ne sont pas toutes nées égales», dit M. Rainville. Lisez prospectus pour connaître les caractéristiques propres à chaque émission. Exemple: si le dividende est cumulatif (versus non cumulatif), l'entreprise doit verser les dividendes en retard lorsqu'elle reprend les paiements.

6- Les actions privilégiées sont peu liquides. Achetez des petits blocs, plus faciles à revendre. À rendement égal, préférez une série qui compte plus de huit millions d'actions en circulation.