La seconde partie de la conférence est plus musclée. Le second animateur aussi, qui montre des pectoraux d'acier et des cheveux du même métal. Son polo ajusté n'est pas étranger à notre sujet, comme nous le découvrirons bientôt.

L'animateur avise son auditoire d'emblée: nous allons nous faire brasser. Il nous demande de noter la maxime suivante: «Si vous voulez devenir riche, vous devez d'abord y croire. La Bible et les autres livres religieux le disent: la foi est le moteur de toute action.» Il ramène sèchement à l'ordre un homme qui, les bras croisés, négligeait d'inscrire la perle de sagesse.

 

Pour avoir foi en la richesse, on doit feindre d'être déjà riche. Chacun doit s'y engager pour la durée de la conférence. Il faut plonger, «presser la détente», brûler nos vaisseaux.

Encore une fois, la longue introduction nous prépare à pénétrer, avec la disposition d'esprit appropriée, les arcanes de la haute finance. «Je veux montrer à chacun dans cette salle comment faire plus de 3000$ l'heure», proclame notre hôte.

Le principe: faire ce que les banques font, pas ce qu'elles nous disent de faire. Et que font-elles? Elles investissent aux États-Unis dans des «Tax Lien Certificates», des privilèges fiscaux sur des propriétés dont les impôts fonciers sont impayés. Le rendement varie de 10 à 50%, sans aucun risque, assène notre vigoureux animateur. Dès que le propriétaire en défaut acquitte ses taxes, l'acquéreur du privilège fiscal est remboursé avec les intérêts promis. Si le propriétaire néglige ses obligations au terme d'un délai fixé au départ, le détenteur du privilège prend possession de la propriété. «Gratuitement et libre de dette», insiste (souvent) le conférencier. C'est, en somme, l'investissement miracle qu'aurait pu faire apparaître la fée-marraine de Cendrillon. «Mais c'est le secret le mieux gardé de l'industrie.»

Il faut toutefois se dépêcher de profiter de la manne des saisies hypothécaires américaines: «J'ai parlé à Donald, l'autre jour, et il m'a dit qu'il pense faire plus d'argent au cours des six à 18 prochains mois qu'il n'en a fait dans toute sa vie.» Urgence, urgence...

Fort opportunément, le Trump Institute, qui bien sûr a engagé les meilleurs experts dans le domaine, offre un cours de deux jours pour nous en exposer toutes les ficelles. «Combien d'entre vous aimeraient que je leur apprenne comment obtenir chaque fois une maison, pour seulement le prix des impôts fonciers? Levez la main!»

La main en question, il faudra la mettre à sa poche et en sortir 2997$, ou 1697$ si on profite immédiatement de l'offre exceptionnelle qui nous est faite, moins 400$ si on s'est également inscrit à la formation immobilière. Cher? «Rappelez-vous que vous avez dit au départ que vous agiriez comme si vous étiez riche pendant cette conférence!» Ah oui! c'est vrai... «Si vous apprenez à faire plus de 3000$ l'heure, est-ce la peine d'investir 3000$? Come on!»

Chacun doit alors inscrire «un million de dollars» sur une feuille, et y ajouter la date à laquelle l'objectif sera atteint. «Pas plus tard que juin 2010», insiste-t-il. «Signez-le, collez-le sur votre frigo et lisez-le chaque jour. C'est sérieux!»

Un chemin de Damas...

Il conclut avec une longue histoire quasi messianique. Retour sur ses années de misère, avant son chemin de Damas. Il pesait alors 250 livres (à comparer avec les pectoraux d'acier cités plus haut). Il était salarié. Endetté. Désabusé. Mais sa mère lui avait enseigné l'honnêteté et aussi que Dieu était la source de toute vérité. Il lui a demandé (à Dieu) de le sortir du trou. «Attention à ce que vous lui demandez!» prévient-il. Dans les semaines suivantes, il a perdu son emploi et son logement. Puis il a entendu un enfant dire à son fils que son père était un bon à rien. Choc salutaire. «Ces mots n'étaient pas adressés à mon fils, mais à moi, des lèvres de Dieu jusqu'à mon oreille, par l'intermédiaire d'un garçon de 7 ans.»

Le lendemain, il a reçu par la poste une invitation à assister à une formation sur la manière d'investir dans l'immobilier sans capital. On devine le reste...

Sa présentation se termine sur une photo de famille où l'on voit sa conjointe et ses 10 enfants, blonds, souriants et - peut-on supposer - prospères.

Quel est l'intérêt de Donald Trump à partager ses prétendus secrets d'affaires? Pourquoi ces conférenciers qui disent avoir fait fortune dans l'immobilier viennent-ils passer la journée dans cet exotique lieu touristique lavallois, à présenter la même pièce de théâtre pour la énième fois?

On peut échafauder bien des hypothèses, une des moins improbables étant qu'ils gagnent ainsi de l'argent plus aisément qu'auparavant.

Une des participantes, une souriante agente immobilière, a une autre explication: «Avez-vous lu Le millionnaire minute? On le dit: pour devenir millionnaire, pour prospérer, tu dois donner.»

Donald Trump le bienfaiteur?

Remarquez que, à la sortie de la conférence, si on prenait bien soin de ne pas s'approcher de la table des inscriptions, on quittait la salle avec 3500$ de plus que ceux qui s'y étaient arrêtés. Ça, c'est du rendement.

***

La queue de la comète

Une fois les portes de la salle franchies, la sollicitation est-elle enfin terminée? Pas encore, pas tout à fait. Telle une comète, la conférence traîne des résidus dans son sillage.Un homme distribue ses cartes professionnelles: «Nous achetons les maisons comptant», indique l'en-tête, comme un écho des conseils de la conférence. Peut-être un ancien participant au séminaire...

Quelques pas plus loin, une femme nous apostrophe. «Êtes-vous ouvert à une occasion d'affaires? demande-t-elle. On est appuyés par Donald Trump.»

Elle distribue une pochette contenant un CD/DVD, sur laquelle figure le magnat. «En fait, c'est la même chose qu'ils vous ont expliquée dans la conférence, mais en télécommunications», explique-t-elle.

Le CD nous en apprendra un peu plus: il s'agit de vente directe de services de télécommunications. L'adhérent touche un pourcentage de la facture mensuelle de chaque client qu'il déniche, et sur la facture des clients que celui-ci recrute à son tour. «C'est ce qu'on appelle un revenu récurrent», récite le CD.

C'est également ce qu'on appelle de la vente pyramidale.

La dame qui nous sollicite a joint les rang de l'entreprise il y a deux ans. «C'est quelqu'un que j'ai rencontré qui m'en a parlé, la même chose que je fais avec vous aujourd'hui, relate-t-elle. Je remercie le bon Dieu tous les jours de me l'avoir offert.»

Décidément, aujourd'hui, Dieu et Donald Trump sont partout.

* * *

Morceaux choisis

«L'argent est un jeu. Si vous connaissez les règles, vous gagnez. Sinon, vous perdez la partie.»

«Ne possédez rien, mais contrôlez tout.»

«Même si vous ne savez pas parfaitement ce que vous faites, écrivez ceci: Je vais faire semblant jusqu'à ce que j'y parvienne.»

«La richesse peut s'enseigner. Les gens riches ont appris à être du bon côté de chaque occasion. Je vais vous apprendre comment.»

«Je suis allé au collège et je n'ai jamais rencontré de professeur riche.»

«Présentement, les États-Unis sont en solde.»

«Si ce n'est pas aujourd'hui, c'est quand? Si ce n'est pas avec nous, c'est avec qui?»