La dette. Avec la crise du crédit, les investisseurs n'ont pas le choix: ils doivent apprendre à tenir davantage compte de ce boulet que traînent des entreprises. Dans une analyse faite pour La Presse Affaires, le président de la firme de gestion de portefeuille Medici et copropriétaire de StockPointer, Carl Simard, a analysé l'endettement d'une dizaine d'entreprises. Il en ressort deux types d'alerte, les «rouges» et les «jaunes». «Ce sont des entreprises qui ont un fort endettement par rapport aux autres», conclut-il après avoir analysé le ratio de leur dette à long terme sur les fonds propres. Évidemment, certains secteurs sont plus propices que d'autres à l'accumulation de dettes, comme le soulignent des dirigeants d'entreprises interviewés.

LES ALERTES ROUGES

> AbitibiBowater

Constat

 

Des entreprises québécoises étudiées, AbitibiBowater est celle qui a le ratio dette à long terme/fonds propres le plus élevé. Il est 13 fois plus grand que la médiane de 400 sociétés canadiennes inscrites en Bourse. «L'industrie du bois, c'est désastreux», souligne d'abord M. Simard. «Abitibi, c'était probablement l'entreprise la plus mal gérée de l'industrie... Ce sont des sociétés qui ont mal évolué au cours des 25 dernières années.»

Les analystes*

Des 18 analystes qui ont émis leur opinion sur le titre, à peine deux recommandent son achat, contre neuf qui suggèrent de le conserver et sept qui croient qu'il faut vendre.

Ce qu'en dit l'entreprise

Malgré des appels répétés, il a été impossible de parler à un porte-parole d'AbitibiBowater au sujet de sa dette.

> Garda World

Constat

Le cas est documenté: la croissance de Garda World a été possible grâce à de l'endettement. «Il faut absolument que le conseil d'administration prenne sa place, parce que, malheureusement, Garda a un management très agressif», souligne M. Simard.

Ce qui peut aider Garda, c'est son rendement sur le capital qui, à 9,32% selon les calculs de l'analyste, la rapproche de la médiane canadienne.

Aujourd'hui même, des titres de dette de Garda viennent à échéance et, selon les calculs de l'analyste Martin Landry, de Valeurs mobilières Desjardins, l'entreprise devra débourser 15 millions de plus parce qu'elle ne peut respecter ses conditions de prêts.

Les analystes

Aucun analyste ne recommande l'achat du titre, trois disent de le conserver et trois autres, de le vendre.

Ce qu'en dit l'entreprise

Il a été impossible de parler aux dirigeants de Garda World à ce sujet.

> Mega Brands

Constat

Survivra, survivra pas? «S'ils réussissent à passer au travers la prochaine ou les deux prochaines années, ils vont être corrects», indique M. Simard. Selon lui, la clé des problèmes de Mega Brands se trouve dans l'acquisition de Rose Art «qui s'est avérée une erreur stratégique (qui) a des chances de faire chavirer le navire en dépit de plusieurs mesures de redressement».

La dette à long terme du fabricant de jouets atteint 255,4 millions US, selon les chiffres de l'entreprise. À cela, il faut ajouter 96 millions US de marge de crédit et 61 millions US de débenture. «Ils ne gèrent plus leur business, ils gèrent leur banquier», analyse M. Simard.

L'avis des analystes

Un seul recommande l'achat de l'action de Mega Brands et un autre de conserver le titre. Enfin, trois suggèrent de s'en défaire.

Ce qu'en dit l'entreprise

Le porte-parole de l'entreprise de Saint-Laurent rappelle ce que ses patrons ont énoncé l'automne dernier: «Notre objectif est d'augmenter la valeur pour nos actionnaires», de dire Harold Chizick, et la réduction de la dette fait partie de l'opération. «Nous avons un minimum de critères sur les prêts à respecter chaque trimestre», dit-il aussi, sans vouloir entrer dans les détails.

> Quebecor Inc.

Constat

Certains pourraient être surpris de voir apparaître ici le conglomérat Quebecor Inc. Non seulement le ratio de sa dette à long terme sur les fonds propres est important (9 fois la médiane), mais son rendement sur le capital est faible, à 0,22% pour les quatre derniers trimestres, selon les chiffres de M. Simard. «C'est moins stressant (grâce aux revenus générés par Vidéotron), mais c'est quand même à surveiller.»

Les analystes

Les 10 analystes qui suivent Quebecor Inc. sont beaucoup plus positifs que le patron de Medici. Ils sont six à en recommander l'achat, quatre autres estiment qu'il faut le conserver. Aucun ne suggère sa vente.

Ce qu'en dit l'entreprise

Quebecor tient à relever trois points précis. D'abord, le ratio dette à long terme sur les fonds propres «n'est pas la mesure la plus adéquate» pour mesurer sa santé, affirme Isabelle Dessureault, vice-présidente, affaires publiques chez Quebecor Media. Les flux monétaires générés par Vidéotron sont fort importants. Ensuite, la dette de Quebecor a été réduite depuis 2001. Enfin, souligne Mme Dessurault, pour 2009 et 2010, il y a moins de 200 millions de dettes à long terme qui viennent à échéance. «On n'entrevoit aucun problème avec la maturité de ces dettes-là.»

LES ALERTES JAUNES

> Air Canada

«Ça va être difficile», résume M. Simard, en analysant les données du transporteur dont les employés ont déjà subi les effets d'une restructuration devant les tribunaux en 2003-2004.

Outre une dette élevée, l'entreprise a un faible rendement sur le capital. Autrement dit, elle a besoin de plus de fonds que les autres pour générer le même profit.

M. Simard souligne «une performance économique assez raisonnable qui sera malgré tout difficile à maintenir dans un contexte économique périlleux».

Les analystes

Quatre analystes qui suivent le titre AC.B suggèrent de l'acheter. Cinq recommandent de le conserver et un autre, de le vendre.

Ce qu'en dit l'entreprise

«Nous ne faisons pas de commentaires sur les rapports d'analystes. Ne pouvant divulguer des données financières de façon sélective, je vous invite à consulter notre site web...», écrit dans un courriel Isabelle Arthur, chef des relations avec les médias.

> Bombardier

Constat

Les restructurations des dernières années ont permis à Bombardier d'afficher «une performance économique devenue très acceptable», aux dires de M. Simard, qui met en évidence un rendement sur le capital qui dépasse la médiane canadienne, avec 11,85% pour les 12 derniers mois.

N'empêche, «son endettement est très élevé», ajoute-t-il. Il souligne aussi le caractère «cyclique» des activités de Bombardier.

Dans une note de recherche publiée le mois dernier, l'analyste Benoit Poirier de Valeurs mobilières Desjardins note d'ailleurs que la dette de Bombardier est plus élevée que celle de ses pairs. Du même souffle, dans un courriel, il précise que Bombardier possède «de bonnes liquidités» et qu'aucune dette ne vient à échéance pour les quatre prochaines années.

Les analystes

Le son de cloche de M. Poirier semble celui retenu par ses confrères. Ils sont 13 à recommander l'achat du titre, contre trois qui suggèrent de le conserver et un seul, de le vendre.

Ce qu'en dit l'entreprise

Chez Bombardier, on est «satisfait» du niveau d'endettement. La porte-parole Isabelle Rondeau souligne que la dette à long terme est passée de 4,4 milliards à la fin janvier 2008 à 3,9 milliards à la fin octobre. «Les capitaux propres ayant diminué davantage que la dette, le ratio paraît plus élevé», dit-elle toutefois.

> Cogeco Inc.

Constat

Il s'agit d'une «entreprise bien gérée», affirme d'abord M. Simard. Elle est devenue «moins risquée» depuis la vente de TQS à Remstar. La stabilité des revenus du câble est un avantage certain en temps difficiles. Le ratio de sa dette reste quand même cinq fois plus élevé que celui des autres entreprises.

Les analystes

Aucun analyste ne suggère de se départir du titre. Ils sont cinq à promouvoir son achat, contre un seul qui suggère de le conserver.

Ce qu'en dit l'entreprise

La porte-parole de Cogeco n'a pas rappelé La Presse Affaires à ce sujet.

> Gaz Métro

Constat

«Son importante dette a des chances de compromettre tout projet de croissance en raison de coûts de financement plus élevés actuellement», souligne M. Simard

Les analystes

Deux analystes qui suivent les activités du distributeur de gaz conseillent de conserver le titre, contre trois qui disent de s'en défaire.

Ce qu'en pense l'entreprise

Gaz Métro reconnaît avoir un niveau d'endettement «légèrement supérieur à ce qu'on a observé historiquement chez Gaz Métro». Le chef des finances, Pierre Despars, attribue cette situation à une acquisition de 200 millions réalisée en 2007. «On a clairement indiqué au marché que, lorsque la situation des marchés se rétablirait, on émettrait de l'équité», c'est-à-dire une émission d'unités pour 100 millions de dollars, selon l'annonce de l'époque.

Cela dit, il juge le niveau d'endettement «tout à fait normal» dans son secteur, où «le pourcentage de dette est principalement fixé par les organismes de réglementation».

Méthodologie

M. Simard a pris un groupe de quelque 400 sociétés inscrites en Bourse qui ont un chiffre d'affaires supérieur à 100 millions de dollars, excluant les institutions financières. Il a trouvé que leur ratio médian de dette à long terme sur les fonds propres (l'avoir des actionnaires) atteint 0,35. C'est donc dire que pour chaque tranche de 100$ d'avoirs, une première moitié a 35$ de dette ou moins. L'autre en a plus de 35$.

Ensuite, il a comparé ce ratio à celui des entreprises mentionnées plus haut: les «alertes rouges» ont un taux d'endettement de 9 à 13 fois supérieur à la médiane. Dans les cas de Nortel et Quebecor World, il n'a pas calculé leur ratio, celles-ci étant «en faillite technique puisque leurs dettes au livre excèdent leurs actifs au livre».

Aussi, il a calculé le rendement sur le capital des entreprises, c'est-à-dire les sommes requises pour générer un profit. Plus ce pourcentage est élevé, moins l'entreprise a besoin d'argent pour engranger un profit.

* Selon les analystes sondés par l'agence financière Bloomberg en date de jeudi.