« Avec un livret, c’est plus facile, tu vois tout de suite où tu es rendu dans tes finances », lance Pierrette Goyette, rencontrée mercredi à quelques pas d’une succursale de Desjardins, à Montréal. Comme des milliers d’autres personnes, la dame de 91 ans devra changer ses habitudes dès l’automne prochain, quand les livrets de caisse de l’institution financière disparaîtront.

Lisez 120 ans d'histoire pour le livret de caisse de Desjardins

Certains n’ont jamais connu les livrets bancaires. D’autres les ont utilisés toute leur vie. Et pour ces derniers, l’annonce mercredi de la fin prochaine des livrets de caisse du Mouvement Desjardins – après 120 ans d’existence – est un coup dur.

La date butoir a été fixée au 19 novembre prochain. À partir de ce moment, les personnes qui utilisaient encore le livret bancaire n’auront plus la possibilité de le faire, a confirmé le porte-parole de l’institution financière, Jean-Benoît Turcotti.

La décision a été prise après que le fournisseur des livrets a informé le Mouvement Desjardins qu’il cesserait sa production. Il y a eu un choix à faire. « Il fallait soit trouver un nouveau fournisseur ou cesser [l’utilisation] des livrets, explique au bout du fil M. Turcotti. Face au nombre décroissant de personnes qui les utilisaient, on a décidé d’y mettre fin. »

Déjà, depuis 2021, il n’était plus possible d’obtenir un livret bancaire à l’ouverture d’un nouveau compte chez Desjardins.

Environ 6 % des clients du Mouvement Desjardins utilisent encore les livrets bancaires, ce qui représente environ 300 000 membres, selon M. Turcotti. Ces personnes sont âgées en moyenne de plus de 70 ans.

Nous sommes allés à leur rencontre mercredi après-midi, dans deux succursales de la métropole.

« J’aimerais ça que ça continue »

À la veille du 1er juin, c’était l’heure de payer ses factures. Ou simplement de vérifier le solde de son compte. Une chose est sûre, les gens vont et viennent à la Caisse Desjardins du Cœur-de-l’Île, située à l’angle de la rue Bélanger et de l’avenue Christophe-Colomb, à Montréal.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Gilles Poulin, un ancien journaliste de La Presse qui couvrait les courses de chevaux, est toujours attaché à son livret de caisse, a-t-il raconté mercredi.

« Je suis confortable avec le livret bancaire, parce que je suis nul avec tout ce qui concerne les solutions parallèles », confie Gilles Poulin, rencontré sur place. Cet homme de 78 ans n’était pas au courant du fait que son livret ne serait plus utilisable dès l’automne prochain.

Un peu plus loin, une septuagénaire utilise le guichet automatique. Tous les jours, elle vient mettre à jour son livret de caisse, raconte-t-elle. C’est sa façon de suivre ses finances. « Je suis un peu dépensière, souligne la dame. J’aimerais que ça continue [le livret de caisse]. Parce que le relevé de compte, c’est juste une fois par mois. »

Une autre cliente de la Caisse du Cœur-de-l’Île s’indigne de la décision du Mouvement Desjardins. « Ce sont des économies de bouts de chandelle ! », dénonce-t-elle avant de quitter les lieux.

À la caisse populaire d’Hochelaga-Maisonneuve, rue Ontario, Pierrette Goyette, elle, tente déjà d’imaginer sa vie sans son livret de caisse. Selon elle, il y a trop de papiers dans les relevés de compte. Difficile de s’y retrouver, estime la nonagénaire.

Desjardins promet de l’accompagnement

​​ « C’est un manque de sensibilité envers nos citoyens aînés. C’est une clientèle qui est là depuis très longtemps, qui est très loyale », dénonce Pierre Lynch, président de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR).

Selon M. Lynch, les personnes qui utilisent encore leur livret bancaire sont vulnérables. « Ils ont mis tous leurs sous dans les Caisses populaires. Pour eux, la question du livret, c’est comme une sécurité, de savoir que leur argent est là. »

Le porte-parole de Desjardins, M. Turcotti, affirme que le Mouvement est conscient que cette décision va entraîner des « changements d’habitude ».

Des lettres seront envoyées aux clients concernés dans les prochaines semaines, assure-t-il. Pour les membres qui auraient besoin de plus d’accompagnement, de l’aide dans les Caisses populaires sera offerte.

« Nos employés à la Caisse vont pouvoir expliquer aux clients [leurs options], dit M. Turcotti. Ils vont pouvoir avoir leur accompagnement aux guichets automatiques. »

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De l’aide sera offerte dans les succursales pour accompagner les usagers, assure Desjardins.

Les reçus imprimés aux guichets automatiques vont continuer de fournir le solde du compte et les dernières transactions, par exemple, ajoute-t-il.

Les clients pourront aussi recevoir leurs relevés de transaction papier par la poste tous les mois. Par ailleurs, le tiers des utilisateurs de livrets utilisent déjà les services en ligne AccèsD de Desjardins, rapporte M. Turcotti.

« Dans tous les changements technologiques mettant fin aux documents en version papier, les entreprises doivent respecter le rythme de leurs clients », a réagi par courriel le réseau d’organismes pour aînés FADOQ.

Selon M. Lynch, Desjardins doit s’assurer de bien accompagner les membres touchés par cette décision : « Il faut qu’ils trouvent une façon de les rassurer, et de les informer de la raison particulière pour laquelle [ils mettent fin aux livrets]. »

Et dans les autres banques ?

La Banque Royale du Canada a cessé d’utiliser les livrets bancaires depuis plusieurs années en optant pour des « options numériques plus écologiques », a indiqué par courriel la directrice régionale des communications, Jessica Assaf. À la Banque Scotia, les livrets ont disparu en mars 2021, a confirmé le directeur des communications, Mathieu Beaudoin. Les livrets sont toujours disponibles à la Banque de Montréal, selon Marie-Catherine Noël, directrice des communications. Les autres banques contactées par La Presse n’ont pas été en mesure de fournir l’information mercredi.