(Ottawa) Air Canada a fait l’objet de trois fois plus de plaintes en vertu de la Loi sur les langues officielles que lors d’une année habituelle, révèle le plus récent rapport du Commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge.

« C’est frustrant, a lâché mardi M. Théberge lors d’une conférence de presse à Ottawa. J’oserais croire que depuis 1988 qu’Air Canada a été privatisée qu’ils seraient mieux en mesure de répondre à leurs obligations. »

Les 276 plaintes jugées recevables qui visent Air Canada représentent un sommet en dix ans, à l’exception de celles reçues l’année où le grand patron de la compagnie aérienne, Michael Rousseau, avait prononcé un discours en anglais au Québec en plus de s’être vanté d’avoir vécu pendant plus d’une décennie à Montréal sans parler un mot de français.

Dès la préface de son rapport 2022-2023, le commissaire affirme que « beaucoup reste à faire » pour concrétiser le projet d’un pays où tant les francophones que les anglophones peuvent planifier leur visite dans un aéroport, se déplacer en avion, prendre le train ou traverser la frontière dans leur langue.

Dans une déclaration écrite transmise à La Presse Canadienne en réaction au rapport, Air Canada a minimisé le nombre de plaintes à son égard.

« Bien que nous prenons très au sérieux chaque plainte, il est important de noter que pour l’année visée par le rapport, Air Canada a transporté 40 millions de passagers qui ont en moyenne 4-5 interactions avec nous », affirme la compagnie qui note au passage qu’elle sert des clients « en plus de 20 langues ».

Les dents de C-13

Le commissaire Théberge s’est cependant réjoui que le projet de loi C-13 qui modernise la Loi sur les langues officielles lui octroie de nouveaux pouvoirs s’il est adopté, notamment de rendre des ordonnances et d’imposer des amendes.

« Présentement, les seuls outils qu’on a à notre disposition, c’est de faire des recommandations, et on se fie sur la bonne volonté des institutions fédérales pour faire la mise en œuvre de ces recommandations. Donc ces nouveaux pouvoirs sont beaucoup plus contraignants », a-t-il dit.

Questionné à savoir si les amendes – allant jusqu’à 25 000 $ – ont le potentiel de secouer les colonnes du temple d’Air Canada, M. Théberge s’est montré « réaliste ».

« Je ne pense pas qu’une amende de 25 000 $ va faire trembler, a-t-il admis. Ce qui est intéressant est que dans ce qui est proposé le gouverneur en conseil peut toujours revoir les montants. C’est aussi pour chaque plainte. »

Son bureau entend publiciser les amendes et croit que cela pourrait avoir un impact bien plus dissuasif que les amendes elles-mêmes.

D’ici là, M. Théberge recommande à la présidente du Conseil du trésor et au ministre des Transports d’élaborer des outils et des lignes directrices concernant les obligations linguistiques des administrations aéroportuaires.

Il suggère également dans la foulée que le ministre des Transports exige que les administrations aéroportuaires soumettent un plan sur la façon dont elles s’acquitteront de leurs obligations linguistiques envers le public.

« Nous avons livré »

Dans le foyer de la Chambre des communes, la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a indiqué qu’elle « accepte » les recommandations contenues dans le rapport.

La ministre a insisté pour dire que son projet de loi a « du mordant » et qu’il est accompagné d’un plan d’action qui prévoit des « investissements historiques » de 4,1 milliards pour protéger et promouvoir le français et l’anglais au pays.

« Le commissaire nous a demandé pour plus d’outils et nous avons livré la marchandise. […] Avec notre projet de loi, on veut qu’il y ait un changement de comportement. C’est exactement qu’est-ce qu’on pense qui va arriver. »

Quant aux amendes maximales de 25 000 $, le député libéral de la Nouvelle-Écosse Darrell Samson a expliqué que « ce n’est pas autant l’argent » qui fera monter « le stress » d’Air Canada, mais bien d’être montrée du doigt.

Le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, a également été questionné en mêlée de presse à savoir s’il s’engage à respecter les deux recommandations qui le concernent et qu’Air Canada doit faire « plus d’efforts » pour respecter ses obligations.

« Le rapport vient d’être publié, a-t-il dit. Je ne l’ai pas lu. […] En principe, je suis déterminé et notre gouvernement s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour améliorer la culture qui nourrit et permet aux Canadiens de recevoir les services dans la langue de leur choix. »

Au cabinet du porte-parole conservateur en matière de Langues officielles, Joël Godin, on indique sentir le souhait du commissaire de corriger la situation. On ajoute du même souffle constater qu’« il ne dispose pas des outils nécessaires » et que C-13 lui en fournit « très peu » afin de renverser le déclin du français au pays.

À son arrivée à la période des questions, le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe a ironisé que le nom d’Air Canada devrait plutôt être prononcé à l’anglaise.

Quelques instants plus tard, son collègue porte-parole en matière de Langues officielles, Mario Beaulieu, a jugé qu’Air Canada a un « problème de culture d’entreprise » qui est « inacceptable ».

« Ce que ça prend, je pense, c’est vraiment une mobilisation. Ça n’a aucun sens. Alors, il faut que ça arrête. Au Québec, on ne peut pas continuer à reculer », a-t-il ajouté.

La porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de Langues officielles, Niki Ashton, s’est dite « préoccupée » par le niveau « inacceptable » de plaintes envers Air Canada.

« On espère que la Loi sur les langues officielles devienne réalité aussitôt que possible pour donner les outils au gouvernement fédéral à pouvoir rendre (redevables) les compagnies comme Air Canada », a-t-elle déclaré.

Le projet de loi C-13 a reçu l’appui de la quasi-totalité des députés aux Communes et est en train d’être étudié par le Sénat.