Entre détresse et résignation : aux yeux de nombreux éleveurs de porcs, l’avenir n’est pas rose.

Les dernières semaines ont été difficiles pour les producteurs de porcs du Québec. Il y a eu l’annonce de la fermeture de l’abattoir Olymel de Vallée-Jonction, en Beauce. Puis la signature d’une entente entre producteurs et transformateurs qui prévoit une réduction de production de 1,1 million de bêtes sur les 6,8 millions élevées annuellement dans la province. Et les abattoirs continueront de payer les bêtes en deçà du prix du marché pour les deux prochaines années.

La crise est grave au point qu’un tribunal administratif doit maintenant se prononcer sur la mise sur pied d’un programme de retrait volontaire de la production doté d’une cagnotte de 80 millions.

Patricia Poulin, une éleveuse indépendante de Sainte-Marie, en Beauce, regarde la situation aller et s’interroge sur ce que lui réserve l’avenir.

« C’est triste, c’est triste. Où est-ce que ça s’en va ? Je ne le sais pas. Je n’ai pas l’impression que le gouvernement veut nous aider non plus », déplore-t-elle. « J’ai un garçon de 18 ans qui est en train d’étudier en agriculture et je suis très inquiète pour son avenir. Je me demande si je devrais lui conseiller de faire autre chose. »

« Jeté par terre »

Daniel Vachon, un éleveur indépendant qui, comme Patricia Poulin, envoyait ses porcs se faire abattre à Vallée-Jonction, partage son découragement. « Je vois l’avenir comme une catastrophe », lance-t-il tout de go.

Moi, la nouvelle de Vallée-Jonction, ça m’a jeté par terre. J’ai bâti mon entreprise parce que j’avais un abattoir proche de chez nous. Le porc de la Beauce, il est en voie de disparition.

Daniel Vachon, éleveur indépendant

La région de la Beauce est celle où l’on retrouve le plus grand nombre de producteurs de porcs indépendants. Les producteurs « indépendants » sont ceux qui sont propriétaires de leurs bêtes et de leur ferme. Les éleveurs « intégrés » sont ceux qui sont propriétaires des bâtiments, mais dont les bêtes appartiennent à des intégrateurs comme Olymel.

« Dans le coin ici, c’est ici qu’il y a le plus de petits éleveurs qui ne sont pas intégrés, alors sûrement qu’ils ont voulu nous couper l’herbe sous le pied [en fermant Vallée-Jonction] », pense Patricia Poulin.

Depuis l’été dernier, les producteurs ont accordé un rabais aux abattoirs, rabais qui est passé de 40 $ à 25 $, puis à 6 $.

« Avec le rabais de 40 $, on a sauvé Olymel et là, elle nous ferme l’abattoir de même dans la face », déplore Daniel Vachon. « On est à quatre pattes devant Olymel. La nouvelle entente de mise en marché, c’est pour sauver Sollio. »

Olymel appartient majoritairement à la coopérative Sollio. Dans l’industrie du porc, la mise en marché est collective. Mardi, les transformateurs comme Olymel et les producteurs de porcs se sont entendus sur une nouvelle formule de prix.

Les abattoirs vont payer 4,5 % de moins que le prix du marché la première année, soit un rabais estimé de 12,50 $ par tête.

En contrepartie, les éleveurs de porcs obtiennent un partage des profits éventuels réalisés par les transformateurs si l’industrie se redresse.

Si l’ensemble des éleveurs font des pertes à cause de la vente au rabais de leurs porcs, ils seront dédommagés par le Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), financé aux deux tiers par les contribuables québécois. L’an dernier, le programme a versé pas moins de 240 millions de dollars aux éleveurs.

« On vit l’accumulation aujourd’hui de quatre ans d’inaction : à regarder le marché de la Chine se fermer, la COVID, la grève à Vallée-Jonction qui a duré 18 semaines sans intervention du gouvernement pour stopper ça », soupire Mathieu Pilote, un éleveur de porcs indépendant de Charlevoix qui envoyait aussi ses animaux à l’abattoir de Vallée-Jonction.

C’est sûr que oui, on est amers, oui, on est déçus. On nous a dit d’investir, qu’on croyait en une relève, mais, à un moment donné, il va falloir que les bottines suivent les babines et qu’on assume l’inaction de ce qu’on a décidé de laisser aller, parce que c’est les régions qui vont se vider.

Mathieu Pilote, un éleveur de porcs de Charlevoix

Aide psychologique

Fin mars, le syndicat agricole des Éleveurs de porcs a voté en faveur de la mise en place d’un programme de rachat pour les éleveurs qui souhaitent se retirer de la production pour au moins cinq ans. Doté d’un fonds de compensation de 80 millions, il visera à réduire de 1 million le nombre de porcs d’engraissement élevés dans la province.

La Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec – un tribunal administratif – devra toutefois donner son aval afin que le mécanisme de retrait de la production soit mis en place.

« On va suivre tout ce dossier-là parce que se retirer de l’agriculture, ça reste un énorme deuil, que ce soit volontaire ou presque obligatoire à cause des conjonctures économiques », explique Nathalie Roy, présidente de l’organisme Au cœur des familles agricoles, qui est également éleveuse de porcs.

C’est bien beau de dire qu’on met de l’argent sur la table, mais il y a un deuil qui va avec ça, et ce n’est pas un chèque qui vous va changer ça.

Nathalie Roy

Elle souligne au passage que des travailleurs de rang ont effectué des « appels de vigilance » auprès de tous les éleveurs de Beauce et de Chaudière-Appalaches. « Dans ce coin-là, je vous dirais que la pression est énorme. »

Elle rappelle que l’organisme sera là pour accompagner les producteurs qui en ressentent le besoin. « Il n’y a rien de plus difficile à gérer que de l’inconnu, et c’est l’inconnu qui mine tout le monde. »