Réfléchir à un nouvel avion, réaliser des acquisitions et récompenser les actionnaires : des scénarios qui semblaient invraisemblables chez Bombardier peuvent finalement être étudiés, signe que la rentabilité est enfin au rendez-vous après sa douloureuse restructuration.

L’avionneur québécois ne s’est pas contenté de relever les cibles de son plan de redressement – qui doit culminer dans deux ans – à l’occasion de sa journée des investisseurs, jeudi. La multinationale québécoise a aussi donné un avant-goût de ce qu’elle pourrait faire de l’argent qui continue à s’accumuler dans ses coffres.

« Ma mémoire ne va pas assez loin, je ne me souviens pas quand c’est arrivé », a lancé le président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, qui a succédé à Alain Bellemare aux commandes de l’entreprise au printemps 2020.

Hormis cinq années passées à la tête d’Hydro-Québec, M. Martel n’a pas connu d’autre employeur que l’avionneur depuis 2002. Il a été aux premières loges des problèmes de liquidités ayant contraint Bombardier à se départir d’une multitude d’actifs pour se recentrer sur la construction d’avions d’affaires.

Mais le vent tourne malgré le récent ressac provoqué par les craintes de récession, qui ralentissent les ventes de jets privés. L’avionneur s’attend à générer des liquidités de 900 millions US en 2025, soit 400 millions US de plus que la cible originale.

Réfléchir prudemment

Au moment où des concurrents comme Gulfstream et Dassault tablent sur de nouveaux jets et où Bombardier vient de mettre sur pied une division de la défense dans l’espoir de voir ce créneau générer des revenus d’environ 1 milliard US vers la fin de la décennie, l'entreprise a des options à sa disposition.

M. Martel veut cependant prendre son temps. Il n’est pas question d’annoncer un nouvel avion à court terme, d’autant que Bombardier doit achever la certification du Global 8000, ce qui devrait être fait au quatrième trimestre de 2025.

« J’observe le marché pour voir si l’on doit lancer quelque chose de nouveau, a illustré M. Martel. Pourrait-il s’agir d’une [amélioration d’un modèle existant] ? C’est possible. Mais pour un nouveau programme, je ne vois aucune urgence d’ici 2025. »

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Martel est président et chef de la direction de Bombardier.

Ce genre de projet coûterait vraisemblablement plusieurs milliards de dollars. Bon an, mal an, les dépenses d’investissement de la compagnie oscillent entre 200 et 300 millions US. Cette enveloppe a permis d’offrir une cure de rajeunissement au Challenger 350 en 2021 et de relancer le projet du Global 8000. La prudence de Bombardier a été accueillie favorablement par les analystes financiers.

« C’est une bonne décision, car elle nécessite moins de capital, souligne Benoit Poirier, de Valeurs mobilières Desjardins. Les créanciers apprécient davantage et c’est moins risqué. Un nouvel avion peut engendrer de la résistance chez les investisseurs. »

En complément

Si Bombardier boucle des transactions, il faut s’attendre à ce qu’elles soient complémentaires à ses activités. Le 8 mars dernier, par exemple, l’avionneur avait racheté les activités de câblage aéronautique du groupe français Latécoère au Mexique. Une acquisition pourrait aussi, par exemple, permettre à la multinationale d’accroître son empreinte manufacturière dans le secteur de la défense.

Le constructeur de jets privés ne verse plus de dividende depuis le début de 2015. Son chef de la direction financière, Bart Demosky, ne fait pas de promesses, mais cette option fait partie de ce qui pourrait être étudié pour récompenser les actionnaires, a-t-il expliqué à La Presse.

« C’est l’un des éléments qui fera partie de la discussion, c’est certain », a-t-il dit.

Un dividende viendrait également garnir les coffres de la famille Beaudoin-Bombardier – qui contrôle l’avionneur – puisqu’elle détient quelque 12 millions d’actions de catégorie A et B.

Par ailleurs, M. Demosky a révélé que Bombardier ne devrait pas payer beaucoup d’impôt au cours des prochaines années. La raison ? L’accumulation de pertes fiscales des dernières années.

« Elles figurent dans notre bilan et constituent un atout au fur et à mesure que nous augmentons notre rentabilité, souligne le directeur financier de Bombardier. Cela signifie que nous ne paierons que très peu d’impôt pendant un certain temps. »

Après un gain appréciable en début de séance, le titre de Bombardier a cédé une partie de ses gains, à la Bourse de Toronto. Le titre a clôturé à 63,56 $, en hausse de 1,74 $, ou 2,8 %. L’an dernier, l'entreprise avait procédé à un regroupement d’actions au ratio de 25 pour 1.

Des fonds vautours

Les prêteurs mécontents qui affirment avoir été lésés par Bombardier sont des fonds spéculatifs qui ne s’intéressent nullement aux perspectives à long terme de l’avionneur, estime son président et chef de la direction, Éric Martel. Prudent dans ses commentaires, celui-ci s’est néanmoins attaqué à la réputation d’Antara Capital Master Fund et de Corbin Opportunity Fund. Des millions sont en jeu dans ce différend judiciaire. Les deux prêteurs se sont tournés vers les tribunaux new-yorkais en alléguant que Bombardier avait enfreint les clauses de l’acte de fiducie d’une obligation en vendant des actifs. L’affaire est toujours devant la justice. « On voit qu’il y a des gens qui sont des professionnels pour tenter de profiter de problèmes qu’ils créent eux-mêmes », a dit M. Martel. Signe que l’avionneur est sûr d’avoir gain de cause, il n’a pas mis d’argent de côté en cas de jugement défavorable.

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  • 4,5 milliards US
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