On dit qu’on peut conquérir le cœur des gens (et du monde !) par le ventre. Alfred veut plutôt passer par le verre. L’entreprise de Québec, qui apporte l’intelligence artificielle dans les celliers, s’implante aux États-Unis et rêve d’entrer dans les caves les plus prestigieuses, ici et ailleurs.

La pandémie n’annonçait pourtant rien de bon pour une entreprise qui gravite autour de la restauration.

D’autant que, si les restaurateurs ont pu se tourner vers la livraison et le prêt-à-manger, non sans efforts, leurs celliers étaient souvent presque à l’arrêt, sinon désertés.

Énorme perte de revenus pour le gestionnaire de cave Alfred Technologies, mais pas de temps. Après le choc est venue la remise en question.

Fort d’un groupe d’actionnaires confiants, et généreux, la PME renouvelle sa plateforme. « J’ai le grand privilège d’être bien entouré », concède son président, Guy Doucet. « Le comité de direction s’est réuni. On s’est dit qu’on était bons avant la pandémie. On était en croissance et on voulait être bons après », dit-il.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Guy Doucet, fondateur d’Alfred Technologies

On voulait mettre ce qu’il faut pour être une entreprise de classe mondiale à la sortie.

Guy Doucet, président d’Alfred Technologies

Le cofondateur de Cascades Alain Lemaire, grand amateur de grands crus lui-même, a joué un rôle important dans cette relance, confie Guy Doucet. D’abord en étant un précieux mentor, ensuite en participant à un investissement – autour de 5 millions de dollars, selon M. Doucet – qui a fait passer l’équipe d’une quinzaine de personnes à près de quarante permanents maintenant.

Décision clé : Alfred Technologies s’installe aux États-Unis en 2021 et accélère son développement du marché américain où les règles sanitaires étaient à géométrie variable. L’industrie de la restauration et l’hôtellerie étaient en marche, et le terreau était fertile : on y retrouve certaines des caves les plus fantasmagoriques et tape-à-l’œil du monde.

Parfait pour l’implantation d’une technologie qui permet une meilleure traçabilité et moins de temps de travail.

Pénurie de main-d’œuvre

L’argument de vente en période de pénurie de main-d’œuvre frappe fort : l’intelligence artificielle accroît l’efficacité dans un cellier et accapare des tâches qui ne siéent pas à tous les acteurs de la restauration, comme tenir l’inventaire de cave et gérer les commandes.

On part du quai de chargement jusqu’à la carte des vins. On prend tout ça en charge. On veut être les meilleurs, réduire de 50 % le temps passé dans ces activités-là et augmenter les ventes de 15 %, idéalement.

Guy Doucet, président d’Alfred Technologies

Concrètement, avec Alfred, l’inventaire est fait une fois et s’ajuste en temps réel, alors que les employés scannent les bouteilles qu’ils sortent. Si le sommelier a un trou de mémoire sur l’appellation, il trouvera l’information en un clic et pourra offrir une prestation de qualité à son client.

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L’application d’Alfred Technologies

« Le système Alfred nous aide à réduire considérablement les efforts à plusieurs niveaux. Ses fonctionnalités multiples réduisent le nombre d’humains requis », confirme Marie-Josée Denis, directrice générale de StoneHaven Le Manoir, dans les Laurentides.

« Au niveau financier, poursuit-elle, nous avons également des avantages importants puisque le contrôle des stocks est rigoureux et l’application augmente la productivité de la brigade en salle. »

Se tourner vers les grands

Alfred est présent dans trois établissements Relais & Châteaux : le Manoir Hovey, l’Auberge Saint-Antoine et le StoneHaven. La technologie gère maintenant le stock de plus ou moins 80 établissements québécois, dont celui du Château Frontenac. Il y a plusieurs avantages à entrer dans un restaurant qui fait partie d’un grand groupe, comme le Château (Fairmont). La capitalisation est plus importante, mais il y a aussi la possibilité de se propager aux autres membres, en cette période où il y a encore peu de compétition dans ce créneau.

Alfred est aussi présent dans deux établissements du Club Med – Charlevoix et Cancún –, et veut poursuivre son expansion dans les autres. Le siège social de Club Med se trouve en Floride où Alfred Technologies concentre sa représentation américaine – après un essai sur la côte Ouest.

S’installer aux États-Unis, encore au cœur de la tempête COVID, était précisément un antidote contre les fermetures répétées, en élargissant le territoire, donc en réduisant le risque d’impact. C’est maintenant au cœur de la stratégie de croissance.

L’entreprise a le même désir de conquête pour les grands centres sportifs où l’on imagine facilement la gestion de la cave chaotique, entre les restaurants et les loges dans un espace immense. Le système est en train d’être implanté au Centre Bell. « Ils ont des opérations où tout se passe dans une période de quatre heures, dit Guy Doucet. C’est hyper intense et tout est délocalisé. »

Environ 80 % du chiffre d’affaires d’Alfred Technologies vient du Québec, révèle son président. Cette année, la part va passer à 60 %. Dans cinq ans, l’entreprise souhaite faire 90 % de ses affaires à l’étranger.