À la chasse aux contrats militaires, Bombardier s’explique mal le silence d’Ottawa, qui tarde à dire si un contrat multimilliardaire d’avions de surveillance fera l’objet d’un appel d’offres en bonne et due forme ou s’il sera attribué à Boeing de gré à gré. L’avionneur québécois est toujours dans le noir malgré ses tentatives pour y voir plus clair.

« Ça serait un peu difficile de comprendre pourquoi nous ne sommes pas considérés, a affirmé son président et chef de la direction, Éric Martel, jeudi. Je n’exige pas le contrat, je veux participer à un appel d’offres. On n’a toujours pas eu de réponse claire. »

Il a abordé le sujet pendant une conférence téléphonique avec les médias en marge de la publication des résultats du quatrième trimestre, conformes à l’aperçu du mois dernier, en plus de présenter des prévisions financières optimistes. M. Martel est également allé répéter son message dans la Ville Reine, où il était invité par le Canadian Club Toronto – une tribune de gens d’affaires – à prononcer une allocution.

Prévisions de Bombardier en 2023 :

  • Livraisons d’avions : supérieures à 138 appareils
  • Revenus : au moins 7,6 milliards US
  • Bénéfice d’exploitation ajusté : minimum de 1,1 milliard US
  • Flux de trésorerie disponibles : supérieurs à 250 millions US

Le contrat militaire en question est évalué à plus de 5 milliards et concerne le remplacement des Aurora CP-140 des Forces armées canadiennes. Cet aéronef de patrouille peut aussi transporter huit torpilles anti-sous-marines. Bombardier tape du pied depuis la publication de reportages ayant suggéré qu’une entente de gré à gré pourrait être conclue avec Boeing. Le gouvernement Trudeau n’a toujours pas montré ses couleurs.

« Ce qui demande de la créativité, ça serait de faire un processus sans appel d’offres, a estimé M. Martel. Ça sera leur décision, mais ils devront expliquer pourquoi ils ont refusé de considérer notre plateforme, qui a eu du succès dans d’autres pays. »

Jeudi après-midi, le ministère de la Défense et Services publics et Approvisionnement Canada n’avaient pas répondu aux questions de La Presse.

Une corde à son arc

Recentré sur l’aviation d’affaires, Bombardier veut accroître son exposition au secteur de la défense. Ce créneau pourrait éventuellement représenter jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires, comparativement à une « fraction » des revenus actuellement. Signe que l’avionneur prend les choses au sérieux, une division spécialement dédiée a vu le jour l’an dernier. Il croit que ses avions Global, assemblés au Canada et convertis à Wichita, dans le Kansas, répondent aux exigences des Forces armées canadiennes. L’armée américaine fait partie des clients de Bombardier.

Contrairement au P-8A Poséidon de Boeing – un appareil qui s’apparente à la famille d’avion 737 –, les Global de l’entreprise québécoise ne peuvent pas larguer de torpilles. Cela pourrait toutefois changer s’il s’agit d’une exigence.

« Nous sommes capables, avec des partenaires, de livrer un produit concurrentiel », affirme M. Martel.

À Toronto, celui-ci a laissé entendre qu’un Global converti pouvait consommer jusqu’à 50 % moins de carburant qu’un P-8A. Il peut aussi voler beaucoup plus longtemps que son rival, affirme M. Martel. Les coûts d’exploitation seraient ainsi beaucoup moins élevés, a-t-il ajouté.

Les riches dépensent

Généralement tributaire des aléas économiques, l’aviation d’affaires se stabilise après avoir été très populaire auprès des ultrariches et des gens fortunés pendant la pandémie. Les prévisions financières de Bombardier pour 2023 laissent croire que cette clientèle n’a pas l’intention de se serrer la ceinture malgré les craintes de récession.

Le constructeur de jets privés anticipe une croissance de 10 % de ses revenus et s’attend à livrer au moins 138 appareils, ce qui représente une hausse de 12 %. Le bénéfice d’exploitation ajusté devrait croître de 21 %.

« C’est sûr qu’on n’est plus dans le marché qu’on avait il y a un an et qui dépassait toutes les attentes, a dit M. Martel. Mais on demeure dans un marché résilient que je qualifierais de plus normal. »

Signe que les choses changent, la firme WingX a dit s’attendre à ce que les indicateurs du niveau d’activité se stabilisent au cours des deux prochains mois. La croissance ne devrait plus être fulgurante. Il y a même eu un recul dans la semaine allant du 31 janvier au 5 février par rapport à la même période en 2022, a souligné WingX.

À la Financière Banque Nationale, Cameron Doerksen prévoit aussi un ralentissement, même s’il anticipe un ratio de nouvelles commandes par rapport au nombre de livraisons de 1.

« Les indicateurs de l’industrie sont en baisse, souligne l’analyste. Les stocks d’occasions, même s’ils sont à des niveaux acceptables, augmentent. Ils représentaient 4,8 % de la flotte mondiale à la fin de 2022 comparativement à 3,6 % l’année précédente. »

D’autres analystes ont jugé que les prévisions de Bombardier étaient prudentes. Cela semblait influencer les investisseurs. Jeudi après-midi, le titre de l’avionneur abandonnait 11,8 %, ou 8,01 $, à 60,07 $. La compagnie avait regroupé ses actions à un ratio de 25 pour 1 l’an dernier.

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