Le régime minceur d’Agropur pour redresser ses finances semble porter ses fruits, mais il y a encore du pain sur la planche. La coopérative tente de garder le cap malgré l’érosion du pouvoir d’achat des ménages et les poussées inflationnistes – des éléments sur lesquels elle a peu de contrôle.

À cela s’ajoutent les augmentations du prix du lait à la ferme, qui, malgré les efforts du transformateur laitier pour les absorber, finissent par se refléter sur le prix des produits vendus dans les sections réfrigérées des supermarchés.

S’ils ont moins d’argent dans leur portefeuille, les consommateurs risquent-ils de tourner le dos aux produits laitiers à valeur ajoutée – dont les marges sont plus élevées – comme les fromages fins, la crème glacée et les autres friandises glacées ? La coopérative établie à Longueuil, en banlieue sud de Montréal, suit la situation de très près.

« Je ne peux pas vous dire lesquels, mais on s’attend à des changements importants des tendances des consommateurs dans la prochaine année, a confié le chef de la direction d’Agropur, Émile Cordeau, en entrevue téléphonique, mercredi, en marge de la 84assemblée générale annuelle. Est-ce qu’ils vont viser des produits à moins grande valeur ajoutée ? Ce n’est pas impossible. »

Après quelques années tumultueuses marquées par la vente de la division des yogourts (IÖGO et Olympic), d’usines et d’autres activités (transport de lait en vrac au Québec), M. Cordeau avait de meilleures nouvelles à annoncer aux membres de la coopérative laitière. Les revenus sont à un niveau record, la rentabilité s’est améliorée et le niveau d’endettement a diminué.

Du lait plus cher

Mais il y a néanmoins des « vents de face » pour le propriétaire de marques bien connues comme Québon, Natrel et Oka. Au Canada, le prix du lait à la ferme – utilisé pour la fabrication du yogourt, du fromage et du beurre – a augmenté de 2,2 % le 1er février dernier. L’an dernier, deux hausses avaient été décrétées : la première de 8,4 % en février et une autre de 2,5 % en septembre. M. Cordeau est conscient des pressions sur les producteurs laitiers, mais les hausses de prix ont aussi une incidence sur les affaires de la coopérative.

« On fait des efforts internes pour minimiser ces impacts-là, dit-il. On parle de gains d’efficacité. On tente de négocier des prix plus favorables [avec les détaillants]. Mais après cela, c’est certain qu’on n’a pas le choix d’en repasser une portion au marché. »

Le patron d’Agropur estime que le portefeuille de produits de la coopérative propose des catégories de produits qui répondent aux différents besoins des consommateurs. Elle est également de plus en plus tournée vers la transformation pour les marques privées, ce qui lui procure une certaine stabilité.

La poussée du prix du lait à la ferme comporte néanmoins des défis dans certaines catégories de produits, souligne Pascal Thériault, directeur, chargé d’enseignement supérieur au Campus Macdonald de l’Université McGill.

« On boit de moins en moins de lait, mais on mange de plus en plus de yogourt, fromage et crème glacée, souligne l’expert. Avec le fromage, on reste un peu plus à armes égales, mais du côté de la crème glacée, on se bat contre les desserts glacés fabriqués avec des huiles végétales et du sucre. »

En ce qui a trait aux fromages fins – Oka, Monsieur Gustav, Champfleury –, il y a également des limites à refiler l’augmentation des matières premières aux consommateurs, explique M. Thériault. Il s’agit d’un « produit qui se transporte très bien ». Il faut donc s’assurer de demeurer concurrentiels avec les « fromages importés ».

M. Cordeau a déjà reconnu que dans ce créneau, le comptoir était déjà bien chargé dans les épiceries à cause des accords internationaux permettant à une grande quantité de produits étrangers d’être vendus sur les tablettes des épiciers au pays.

Évaluation permanente

La plus récente vente d’actifs réalisée par Agropur a été finalisée le 8 décembre dernier. Elle a obtenu environ 205 millions pour son usine américaine d’ingrédients laitiers et non laitiers de La Crosse, au Wisconsin. On ignore si d’autres transactions sont prévues, mais le dirigeant du transformateur laitier dit ne fermer aucune porte.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Émile Cordeau est chef de la direction d’Agropur.

« Notre approche est de constamment se questionner sur notre réseau, notre parc d’activités et nos structures, dit-il. Le statu quo n’est pas acceptable. »

M. Thériault estime que « le processus de recentrage tire à sa fin ». À son avis, Agropur ne pense plus nécessairement à se départir d’autres divisions, mais évalue la rentabilité de ses usines au cas par cas. Il croit qu’Agropur doit maintenant « gérer l’externe et ce qu’elle ne contrôle pas ».

D’autres sujets qui concernent Agropur

Le lait de base

Moins rentable pour les laiteries, le lait de base, que l’on retrouve dans des contenants en carton sans bouchon de plastique et en sac, perd du terrain au profit du lait à valeur ajoutée : « 100 %, c’est une catégorie importante pour Agropur et pour nos membres, répond M. Cordeau, par rapport à l’engagement de la coopérative à l’endroit de ce créneau. Est-ce que c’est un secteur facile ? Vraiment pas. C’est très concurrentiel, mais ça demeure stratégique pour nous. »

Virage végétal

Agropur pense-t-elle à emboîter le pas à des multinationales comme Groupe Bel, qui a décidé d’offrir un équivalent végétal à certains produits, comme le fromage ? Pas à court terme, selon le dirigeant de la coopérative. « Un jour, ça pourrait être possible, mais il faudrait que cela soit complémentaire à notre portefeuille de produits, dit-il. À ce stade-ci, c’est une tendance que l’on étudie de près. »

Le climat de travail

Une menace de grève a plané sur l’usine Natrel à Québec et un débrayage est survenu dans une usine d’Agropur à Granby l’an dernier. Des reportages ont fait état d’un climat de travail difficile entre les syndiqués et les cadres à Granby. « On parle de pénurie de main-d’œuvre et de l’inflation, c’est sûr que c’est un climat employé/employeur qui est intense, je ne vous mentirai pas, explique M. Cordeau. On s’adapte au climat inflationniste. Dans l’ensemble, on a de bonnes relations de travail et nous voulons les préserver. »

Rémunération en baisse

La paye globale de la haute direction d’Agropur s’est élevée à environ 12 millions l’an dernier, en recul de 14 %. En tentant compte du traitement des membres du conseil d’administration et des indemnités de départ versées en 2022, les émoluments se sont établis à 14,5 millions, comparativement à 18 millions l’année précédente.

Moins rose chez Sollio

Pendant qu’Agropur poursuit son redressement, un autre groupe coopératif, Sollio, propriétaire d’Olymel et de la chaîne de quincailleries BMR, en plus d’être active dans les produits agricoles, met en garde ses membres. Les nouvelles seront mauvaises lorsque viendra le temps de présenter les résultats de l’année financière 2021-2022, prévient le président Ghislain Gervais. « Nous aurons l’occasion d’en dire davantage lors de la présentation de nos résultats […], mais il ne faut pas jouer à l’autruche : ces derniers ne seront pas satisfaisants, loin de là », concède-t-il, dans un message aux membres diffusés mercredi. En novembre dernier, La Presse faisait état des nombreux enjeux de Sollio. La coopérative a pris une série de décisions stratégiques coûteuses et a multiplié les acquisitions. Elle doit renégocier une tranche de dette estimée à 800 millions qui arrive à échéance en juin.

En savoir plus
  • 6,7 milliards de litres
    Volume de lait traité par Agropur l’an dernier, en baisse de 1 % par rapport à 2021
    source : Agropur
    7500 personnes
    Effectif de la coopérative, réparti au Canada et États-Unis
    source : Agropur