Transat A.T. a trouvé une façon de récompenser ses principaux dirigeants malgré les restrictions qui accompagnent l’aide fédérale obtenue depuis 2021 : des primes différées en argent versées si le voyagiste parvient à s’affranchir de l’aide fédérale. Tout indique que la somme de 2,5 millions comptabilisée jusqu’à présent est appelée à croître.

L’information figure dans la circulaire de sollicitation qui vient d’être envoyée aux actionnaires en vue de l’assemblée du 9 mars. On apprend également, dans le document, que la paye globale – qui tient compte du salaire de base et des autres avantages – des cinq principaux dirigeants du voyagiste s’est élevée à 5,6 millions en 2022.

À l’instar d’acteurs de l’industrie comme Air Canada, Sunwing et Porter Airlines, Transat A.T. a eu droit au Crédit d’urgence pour les grands employeurs (CUGE), mis en place au plus fort de la pandémie. Offert sous forme de prêts, ce soutien s’accompagne de conditions, comme le plafonnement du salaire de base (1 million) des cadres et l’interdiction d’offrir des octrois fondés sur des actions ou des options sur des titres, notamment.

C’est dans ce contexte que la société mère d’Air Transat propose, depuis deux ans, un « boni en espèces » payable « trois ans après la date où il aurait été normalement versé ». Pour 2022, la somme atteint 1,5 million. L’entreprise affirme que ce mécanisme est conforme aux règles.

« Le boni de performance sur trois ans est courant et ne contourne aucunement les dispositions du CUGE, affirme le porte-parole du voyagiste, Bernard Côté, dans un courriel. Ce dernier ne limite pas l’octroi des primes, mais bien la rémunération totale au moment de leur paiement. »

Dans le cas de la présidente et cheffe de la direction, Annick Guérard, une somme de 529 000 $ a été comptabilisée pour 2021 et une autre de 528 000 $ figure dans la plus récente circulaire. Cette pratique est « vraisemblablement » appelée à se poursuivre cette année, indique M. Côté.

Les primes différées seront aussi comptabilisées dans les passifs du voyagiste, qui a affiché une perte d’exploitation de 303 millions pour l’exercice financier terminé le 31 octobre dernier.

Avec conditions

S’ils veulent recevoir leurs paiements, les patrons de Transat A.T. devront toutefois avoir remboursé les prêts obtenus par l’entremise du CUGE. Autrement, les sommes risquent d’être amputées ou même de ne pas être versées. En tenant compte d’un financement supplémentaire de 100 millions obtenu l’été dernier, c’est 843,3 millions qui ont été mis à la disposition de l’entreprise québécoise. Celle-ci a effectué des tirages totalisant 743 millions. La haute direction a donc du pain sur la planche en matière de refinancement si elle veut atteindre ses objectifs.

« Cela serait dommage que l’on trouve un subterfuge uniquement pour répondre aux exigences et obtenir les bonis, estime François Dauphin, directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées (IGOPP). J’ai quand même bon espoir là-dessus. Il y a du travail qui a été accompli depuis un an. »

L’expert n’a pas donné d’exemple précis. En principe, Transat A.T. pourrait, par exemple, trouver la somme équivalente à ce qu’elle a obtenu d’Ottawa auprès d’un syndicat bancaire. Le voyagiste demeurerait aussi endetté, mais l’opération lui permettrait de rembourser le gouvernement fédéral et de ne plus être assujetti aux règles du CUGE.

Selon M. Dauphin, les primes différées constituent également une forme d’incitatif pour retenir les membres de la haute direction pendant une période turbulente.

« Si on veut avoir un régime d’intéressement pour une compagnie qui tente de se relever, il faut que le conseil d’administration arrive avec une forme de proposition, dit M. Dauphin. Si on s’en sort dans trois ou quatre ans, on aura une façon de vous remercier un peu. C’est ce qu’on dit ici. »

Pour le moment, les primes calculées par Transat A.T. ne figurent pas dans le tableau qui fait le point sur les différents aspects de la rémunération globale des cinq patrons les mieux payés. Elles devraient toutefois y apparaître si elles sont versées.

Lent redécollage

En recentrage sur ses activités aériennes, Transat A.T. a repris un peu d’altitude l’an dernier, mais sa situation financière reste précaire. Sa dette nette atteignait 1,6 milliard au 31 octobre dernier et le voyagiste s’attend à continuer de puiser dans ses réserves pour soutenir sa relance.

Il faudra probablement attendre jusqu’en 2024 avant de voir la société dégager des liquidités, avait affirmé son chef de la direction financière, Patrick Bui, le 15 décembre dernier, au cours d’une conférence téléphonique avec les analystes financiers.

Aux commandes depuis bientôt deux ans, Mme Guérard a eu droit à un traitement de 1,6 million, dont un salaire de base de 540 132 $. Sa rémunération globale a bondi de 26 %, ce qui s’explique essentiellement par une majoration d’environ 350 000 $ de la valeur de son régime de retraite.

Jean-François Lemay, qui a tiré sa révérence à la tête d’Air Transat le 1er juin dernier, a eu droit à 1,3 million en paiements liés à son départ, dont 885 720 $ en indemnité de départ, 116 591 $ en « vacances accumulées et non prises » et 222 000 $ pour des octrois entourant son régime d’intéressement à long terme.

Le rendez-vous annuel de Transat A.T. devrait marquer l’arrivée de trois nouveaux administrateurs. Il s’agit de Geneviève Brouillette, chef de la direction financière chez Groupe Aldo, Robert Coallier, ex-chef de la direction d’Agropur, et Bruno Matheu, président et fondateur de BLM Consulting.

À la Bourse de Toronto, mardi, l’action de Transat A.T. a clôturé à 3,41 $, en hausse de 5 cents, ou 1,5 %.

En savoir plus
  • 4000 employés
    Effectif de Transat A.T. au 31 octobre dernier. C’est 75 % de ce qu’il était avant la pandémie.
    source : transat a.t.
    310 millions
    Portion de l’aide fédérale utilisée par le voyagiste pour rembourser ses clients dont les vols avaient été annulés par la crise sanitaire.
    source : transat a.t.