(Londres) Le géant de l’énergie britannique Shell a enregistré en 2022 le bénéfice le plus élevé de son histoire et annonce des redistributions massives à ses actionnaires, attisant les appels à davantage de taxes et les critiques d’ONG écologistes.

Shell a vu son bénéfice net part du groupe grimper à 42,3 milliards de dollars, plus que doublé grâce à l’envolée des cours des hydrocarbures, tirés par le rebond de la demande post-pandémie et par la baisse des exportations russes après l’invasion de l’Ukraine par Moscou.

Les résultats spectaculaires de Shell suivent ceux de ses rivaux américains. ExxonMobil a annoncé mercredi un profit record de 55,7 milliards de dollars en 2022, et Chevron a publié la semaine dernière un bénéfice annuel net plus que doublé à 35,5 milliards de dollars.

Le bénéfice net ajusté de Shell (c’est-à-dire hors éléments exceptionnels), le ratio le plus suivi par les analystes, est ressorti à 39,9 milliards de dollars, en dépit d’une charge après impôts de 3,8 milliards de dollars en 2022 liée au retrait progressif des activités de pétrole et gaz en Russie.

Ces résultats « démontrent la force du portefeuille différencié de Shell, ainsi que notre capacité à fournir une énergie vitale à nos clients dans un monde instable », s’est félicité dans un communiqué le nouveau directeur général Wael Sawan, qui a remplacé Ben van Beurden le 1er janvier.

Mais les ONG de défense de l’environnement, dénoncent ces profits records et appellent à mettre les géants pétroliers davantage à contribution face à l’urgence climatique.

« Shell profite de la destruction du climat et de l’immense souffrance humaine », a dénoncé dans un communiqué Elena Polisano, de Greenpeace UK, dont des militants ont manifesté jeudi devant le siège du groupe à Londres.

L’ONG indique aussi que quatre de ses militants sont montés sur une plateforme de Shell près des Canaries, et estime que les dirigeants mondiaux « devraient forcer les mégapollueurs historiques à alimenter » un fonds « pour les pertes et les dommages causés par la crise climatique ».

Taxes exceptionnelles

« Je suis convaincu que le monde a besoin d’une transition énergétique équilibrée », donc sans se passer immédiatement des investissements dans les énergies fossiles, a fait valoir M. Sawan lors d’une conférence de presse en ligne, indiquant qu’un tiers des investissements du groupe sont tournés vers la transition énergétique.

« Je ne pense pas que nous évoluions assez vite en tant que planète », a-t-il toutefois reconnu. Mais pour faire mieux, « cela nécessite un changement significatif des politiques gouvernementales, une bonne adhésion des clients et, bien sûr, que des entreprises comme la nôtre continuent à investir », selon lui.

Il est possible que M. Sawan, ancien directeur des énergies renouvelables au sein de Shell, « donne une attention supplémentaire à la transition » énergétique du groupe, selon Richard Hunter, analyste de Interactive Investor.

Mais en attendant « le marché des énergies renouvelables est compliqué » avec « des technologies non éprouvées ou tout simplement non rentables qui rendent les progrès difficiles », poursuit l’analyste, qui note que Shell accuse une perte de 1,06 milliard de dollars pour l’an dernier dans ce segment.

Le gouvernement britannique a introduit en mai, puis augmenté en fin d’année à 35 %, une taxe sur les bénéfices énergétiques exceptionnels, tout comme l’UE qui a adopté fin septembre une « contribution temporaire de solidarité ».

Shell a indiqué début janvier prévoir une ardoise de 2 milliards de dollars pour ces impôts exceptionnels au quatrième trimestre, et avait dit, en conséquence, passer en revue ses investissements au Royaume-Uni-un processus toujours en cours.

« Nous continuons de croire au potentiel important d’investissements énergétiques au Royaume-Uni », mais de telles taxes sont « déstabilisantes pour une industrie qui investit pour pouvoir faire des profits dans 10, 15, 20 ans », a-t-il justifié.

La « major » pétrolière et gazière lance jeudi un programme de rachat d’actions de 4 milliards de dollars ainsi qu’une hausse de 15 % du dividende pour le quatrième trimestre de l’an dernier.

Au total, Shell distribue 26 milliards de dollars à ses actionnaires pour 2022, faisant grincer les dents des ONG, même si les investisseurs applaudissent, et l’action du groupe grimpait de 2,73 % à 2431 pence jeudi peu avant 7 h (heure de l’Est).

Pour l’ONG écologiste Friends of the Earth, il faut accélérer la taxation. Il est « tout simplement stupéfiant » de voir de tels profits en pleine crise du coût de la vie, qui voit « des millions de personnes confrontées au choix impossible de mettre de la nourriture sur la table ou de chauffer leur maison ».