(Toronto) Des membres de la communauté canadienne des technologies disent craindre que le récent ralentissement du secteur ne pèse encore plus lourd sur les femmes qui dirigent leur propre entreprise, elles qui accusent déjà un retard sur leurs homologues masculins au chapitre du financement.

Leurs craintes surviennent alors que le secteur mondial de la technologie est miné par une vague de réduction des dépenses et que les consommateurs reviennent à leurs habitudes prépandémiques. Le secteur est également aux prises avec des mises à pied généralisées, des valorisations en baisse et, à mesure que l’exubérance des investisseurs diminue, les entrepreneurs ont du mal à trouver des liquidités.

« Un investisseur a utilisé la phrase : “c’est un bain de sang”, et […] je dirais pour ma part que l’environnement du financement court à la catastrophe », observe Caitlin MacGregor, fondatrice de la société de technologie de recrutement Plum, établie à Waterloo, en Ontario.

Elle tente d’obtenir davantage de financement depuis le mois de septembre, après avoir précédemment mobilisé 11 millions. Même si elle est convaincue qu’elle trouvera l’argent dont elle a besoin, elle croit, comme d’autres, que plusieurs femmes auront encore plus de mal que d’habitude à réaliser le même exploit.

« Les femmes obtiennent un pourcentage plus faible des capitaux disponibles, puis lorsque ces capitaux diminuent, la part qui revient aux femmes devient encore plus petite », explique Mme MacGregor.

« Cela signifie que le pourcentage d’entreprises qui vont échouer parce qu’elles n’ont pas obtenu de financement augmente. »

La firme ontarienne de données Briefed. In a observé que les entreprises technologiques canadiennes avaient mobilisé 14 milliards par l’entremise de 701 transactions en 2021, alors que le marché était encore en plein essor parce que les entreprises prévoyaient que leur vigoureuse croissance pandémique se poursuivrait. En 2022, l’activité d’investissement est tombée à 9,7 milliards, pour un total de 417 transactions.

Une plus petite part du financement

Jusqu’à maintenant, l’année en cours a permis de mobiliser 176,9 millions dans huit transactions, mais plusieurs croient que 2023 se terminera avec des investissements encore plus faibles que ceux de l’année dernière – et si les tendances passées se poursuivent, les femmes ne récolteront qu’une maigre part de l’argent disponible.

Les entreprises appartenant à des femmes n’ont reçu que 2,3 % du financement en capital-risque disponible dans le monde en 2020, comparativement à 2,8 % en 2019, a calculé la société de données Crunchbase.

« La situation du marché d’aujourd’hui ne va pas aider », estime Rhiannon Davies, associée générale de Sandpiper Ventures, un fonds de capital-risque de prédémarrage établi à Halifax, qui investit uniquement dans des entreprises canadiennes dirigées par des femmes.

Au début de la pandémie, elle a remarqué une ruée vers les capitaux, des accords concurrentiels et des valorisations énormes, ce qui a conduit certaines entreprises à entrer en Bourse et certains investisseurs à vendre pour réaliser d’importants gains.

La frénésie du marché a entraîné une augmentation des investissements pour les femmes à la tête d’entreprises et d’autres entrepreneurs sous-représentés, mais Mme Davies signale que cette augmentation est restée proportionnelle à la vague de financement que voyait l’ensemble du secteur.

« Les proportions ne changent pas assez rapidement. Nous ne faisons pas bouger l’aiguille », déplore-t-elle.

« Il y a toujours une tendance à l’investissement symbolique dans les sociétés technos dirigées par des femmes, par opposition à un véritable changement qui montrerait que c’est la direction dans laquelle nous devons aller. »

Qui se ressemble s’assemble

Plusieurs attribuent ces investissements symboliques à des bailleurs de fonds qui mettent de l’argent derrière des personnes qu’ils connaissent déjà, ou des entreprises qui ont suivi le même chemin que d’autres dans lesquelles ils ont déjà investi avec succès. D’autres croient que les noms d’écoles, d’employeurs ou d’incubateurs de premier plan qui ont déjà produit des entreprises à succès et figurent sur le CV d’un entrepreneur peuvent également jouer un rôle dans les décisions de financement.

Mme Davies voit dans cela des investisseurs qui s’accrochent aux « choses qu’ils connaissent » et qui « répètent les mêmes schémas ».

Mme MacGregor appelle plutôt cela un « biais implicite ».

« Ils cherchent à savoir si cette personne a travaillé dans une entreprise technologique ou dans le secteur dans lequel elle crée une entreprise. A-t-elle déjà mobilisé des fonds, a-t-elle déjà réussi à quitter une entreprise ? » observe-t-elle.

« Lorsque les femmes commencent, la plupart du temps, elles ne correspondent pas nécessairement au modèle dès le départ. »

Elles sont également moins susceptibles de faire une demande de fonds à des investisseurs qui leur ressemblent. Les femmes ne représentaient que 19,4 % des partenaires canadiens de capital-risque en 2019, selon la société de données sur la diversité Diversio, et 27 % des investisseurs providentiels canadiens en 2021, selon la National Angel Capital Organization.

Les femmes qui ont fondé une entreprise sont deux fois plus susceptibles d’investir dans une entreprise en démarrage dirigée par des femmes, selon une étude du programme Kauffman Fellows, établi dans la Silicon Valley.

Pour remédier au manque de financement, plusieurs fonds de capital-risque ciblent uniquement les entreprises dirigées par des femmes, mais Mme Davies note qu’ils sont inondés de centaines de demandes et ne peuvent souvent en soutenir qu’une dizaine.

« Il y a une demande phénoménale, mais c’est une énorme quantité de travail pour un investisseur d’évaluer vraiment efficacement et de ne laisser aucun fondateur se sentir exclu. »

Un contexte peu favorable

L’entrepreneure torontoise Liza Akhvledziani n’a pas réussi à courtiser les fonds ciblant les femmes fondatrices d’entreprises lorsqu’elle a lancé sa plateforme de paiement de loyer Chexy, à la fin de 2021.

« Peut-être parce qu’ils sont surchargés par la demande d’autres femmes fondatrices et qu’il y en a juste moins », se demande-t-elle.

Elle a finalement mobilisé des fonds auprès de l’investisseur en sociétés en prédémarrage Antler, mais avant d’obtenir ce soutien, trouver quelqu’un pour allonger de l’argent était un « boulot pénible ».

Mme Akhvledziani croit que ses difficultés ne viennent pas du fait qu’elle est une femme, mais du récent ralentissement du marché qui a exacerbé le manque général de financement et la résistance du Canada à soutenir les entreprises en démarrage.

« Il y aura beaucoup moins de personnes prêtes à faire des chèques à partir de maintenant », souligne Mme Akhvledziani.

« Ce n’est pas comme s’ils avaient besoin de dépenser cet argent […] alors qu’ils perdent de l’argent sur les marchés boursiers tous les jours. »

Bien qu’elle soit jalouse des taux de capitaux plus élevés qui prévalent aux États-Unis et déçue des difficultés auxquelles sont confrontés de nombreux fondateurs de sociétés pour concrétiser leurs idées, elle voit toujours le succès des jeunes pousses canadiennes à l’horizon.

« Les grands modèles commerciaux et les grandes équipes seront toujours financés », estime Mme Akhvledziani.

« Si nous pouvons mobiliser (des fonds) et bien exécuter (notre plan d’affaires) dans ce climat macroéconomique, cela signifie que, lorsque le vent va tourner, alors ce sera encore mieux pour nous et nous allons exceller. »