(Paris) Appel à la grève inédit de l’ensemble de son personnel en France, chute en Bourse, jeux annulés… Le géant français des jeux vidéo Ubisoft, bien présent au Québec, vit une crise multiple depuis l’annonce mi-janvier de l’abaissement de ses prévisions financières pour l’exercice 2022-2023.

Le Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo et Solidaires Informatique ont lancé un « appel à la grève » de toutes les entités françaises d’Ubisoft vendredi après-midi pour dénoncer les pratiques de gestion de la direction.

De mémoire de syndicaliste, c’est la « première » grève d’une telle ampleur de l’histoire d’Ubisoft, depuis la création en 1986 de l’éditeur à l’origine de la série Assassin’s Creed, souligne auprès de l’AFP Marc Rutschlé, représentant de section syndicale chez Solidaires Informatique.

De source syndicale, « au moins 100 personnes » ont fait grève sur le site d’Ubisoft Paris Studio, à Montreuil, tandis qu’un rassemblement était aussi prévu devant le studio de Montpellier.

« Pour nous, c’est un succès. Le message est clair pour la direction », souligne Marc Rutschlé.

Contactée par l’AFP, la direction n’a pas souhaité faire de commentaires.

Ce mouvement de revendication est assez rare dans le milieu du jeu vidéo, marqué récemment par la grève de cinq semaines des employés de l’éditeur Activision Blizzard fin 2021 qui a abouti en mai dernier à la création du premier syndicat au sein de l’entreprise américaine.

Le mouvement de grève actuel ne touche pas les installations québécoises d’Ubisoft, qui comptent près de 5000 employés. Le studio montréalais, le plus gros du groupe, compte un peu plus de 4000 employés. Ubisoft est également présent à Québec, à Saguenay et à Sherbrooke. Le porte-parole d’Ubisoft Montréal, Antoine Leduc-Labelle, s’est refusé à tout commentaire concernant les grèves en France.

L’origine du problème

Ce qui a mis le feu aux poudres chez Ubisoft ? Un courriel interne envoyé par le PDG Yves Guillemot, évoquant « des ajustements structurels » à venir alors qu’Ubisoft s’est engagé auprès des marchés à réaliser 200 millions d’euros (289 millions CAN) d’économies sur deux ans.

« Pour nous, cela veut dire des plans de licenciements. Et quand on parle de faire des économies, cela veut dire virer des gens et ne pas augmenter le salaire de ceux qui restent. Sachant qu’on nous met la pression en disant : “C’est à vous de faire mieux” », fustige le représentant de Solidaires Informatique.

Dans leur communiqué d’appel à la grève, les syndicats réclament notamment « l’ouverture de négociations salariales ».

La stratégie « ne convainc pas »

Sur le plan financier, l’éditeur français a aussi chuté lourdement en Bourse depuis l’annonce mi-janvier de l’abaissement de ses prévisions financières pour tout l’exercice 2022-2023, dans un contexte de « détérioration des conditions macroéconomiques ».

Ubisoft a révisé à la baisse son objectif de croissance de chiffre d’affaires pour 2022-2023, avec des ventes réduites « de plus de 10 % » par rapport à l’année précédente, alors qu’il avait initialement communiqué un objectif de croissance « supérieure à 10 % ».

Conséquence, son cours en Bourse est revenu à ses plus bas niveaux de 2015-2016. Il a fini vendredi à 19,16 euros, en hausse de 1,75 %.

Nous sommes déboussolés par l’ampleur des difficultés rencontrées par Ubisoft.

Emmanuel Matot, analyste financier chez Oddo BHF

« Ubisoft ne convainc pas, explique à l’AFP Charles-Louis Planade, analyste chez Midcap Partners. Il y a une défiance claire au niveau du management, eu égard aux nombreux avertissements sur les résultats, mais aussi par le deal réalisé par la famille Guillemot avec Tencent. »

Les fondateurs du champion français du jeu vidéo – la famille Guillemot – ont scellé début septembre une alliance avec le géant chinois Tencent pour sécuriser leur emprise sur Ubisoft, dans un marché du jeu vidéo en pleine consolidation.

Autre élément en sa défaveur : l’énième report du jeu Skull and Bones, initialement prévu pour novembre 2022, tandis qu’Ubisoft a également indiqué avoir arrêté le développement de trois projets « non annoncés », en plus des quatre arrêts déjà annoncés en juillet 2022.

« Ce n’est pas un cas unique dans le secteur, notamment à cause de la COVID-19, mais on a l’impression que chez Ubisoft, c’est beaucoup plus marqué que chez les autres éditeurs », souligne encore Charles-Louis Planade.

« Après, il ne faut pas oublier que la mémoire du marché est courte. Si le groupe sort une année extraordinaire l’année prochaine ou celle d’après, tout le monde aura oublié », ajoute-t-il.