Employés congédiés ou intimidés à cause de leurs efforts de syndicalisation, blessures et cadence de travail infernale, politiques internes pour contourner les lois du travail au Québec… la CSN a dressé un sombre tableau des conditions de travail chez Amazon, qualifiant les employés d’« esclaves salariés ».

« Les cadences de travail sont infernales, les accidents de travail sont réguliers, les contestations d’accident de travail de la part d’Amazon sont systématiques, a déclaré ce vendredi en point de presse David Bergeron-Cyr, vice-président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Ils ne respectent pas les lois du Québec. » La Centrale rappelle être engagée dans une campagne de syndicalisation de la dizaine d’établissements d’Amazon dans le Grand Montréal.

Contourner la CNESST

Largement constituée de jeunes et de travailleurs immigrants, la main-d’œuvre chez Amazon doit par exemple recourir aux services de soins développés par l’entreprise à l’interne appelés AmCare. Essentiellement, l’employé qui a subi une blessure est d’abord pris en charge par une infirmière d’Amazon. Les modalités d’AmCare ont été dénoncées par le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI), également présent à la conférence de presse.

« Depuis un an et demi, nous avons été constamment avisés au CTI de cas reliés à des violations de santé et sécurité des travailleurs d’Amazon, à YUL2 (centre de tri à Lachine), mais aussi à d’autres installations dans la région montréalaise, a dénoncé Mostafa Henaway, organisateur communautaire. Les superviseurs ou AmCare vont dire aux travailleurs de prendre un peu de temps, d’aller à la maison et de revenir dans deux semaines. Quand la douleur ou la blessure ne sont pas parties, il est trop tard pour aller à la Commission des normes de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). »

Ceux qui choisissent tout de même de recourir aux indemnités de la CNESST sont menacés de congédiement, affirme M. Henaway.

Ancien journaliste en Égypte qui a demandé le statut de réfugié au Canada, Ibrahim Alsahary a travaillé un an chez Amazon. Il a été congédié en mars dernier. Il a décrit un rythme de travail infernal où les travailleurs sont systématiquement tenus dans l’ignorance de leurs droits.

Après six mois, je suis devenu un travailleur zombie. Je ne pouvais plus lire, regarder la télé, communiquer avec mes amis ou ma famille, je n’avais plus le temps ou l’énergie.

Ibrahim Alsahary, ex-employé d’Amazon

Les travailleurs qui faisaient valoir des doléances quant à l’environnement de travail étaient congédiés ou n’avaient plus accès à des promotions internes. M. Alsahary affirme en outre avoir vu se développer un nouveau système où, de façon aléatoire, certains travailleurs n’étaient plus rappelés pendant plusieurs semaines ou des vagues de licenciements succédaient à des périodes d’embauches massives.

Mises en demeure

Les statistiques sur les lésions professionnelles chez Amazon sont parcellaires, estime Mostafa Henaway, dans la mesure où les employés ignorent bien souvent les recours auxquels ils ont droit. Il a toutefois souligné que, selon les statistiques de la CNESST, on a rapporté, pour 2020-2021, 79 blessures chez les quelque 800 employés de deux établissements de tri d’Amazon, dans les arrondissements de Lachine à Montréal et de Saint-Hubert à Longueuil. « C’est pratiquement 10 % des employés, et c’est probablement sous-estimé. »

À la CSN, on ne révèle pas l’état d’avancement de la syndicalisation dans les établissements québécois d’Amazon, expliquant que les employés doivent souvent agir clandestinement pour ne pas subir de représailles. « Mais ça va bien », laisse tomber M. Bergeron-Cyr.

Il a par ailleurs dénoncé les tactiques antisyndicales d’Amazon, alors que les employés ont reçu des textos pour décourager l’accréditation syndicale, que des affiches ont été apposées en ce sens sur les lieux de travail et que de nombreux représentants de l’entreprise américaine sont venus contrecarrer les efforts de syndicalisation depuis le printemps dernier. La CSN a d’ailleurs envoyé plusieurs mises en demeure à Amazon à ce sujet, a-t-on précisé. L’entreprise, quant à elle, a fait de même au moins une fois. « Il n’y a pas de canal de communication avec Amazon », a noté le vice-président.

Premières tentatives

Ce n’est pas la première fois qu’un groupe d’employés d’Amazon, qui en compte quelque 1,6 million dans le monde, tente de se syndiquer. Toutes les tentatives ont échoué jusqu’à ce qu’une première unité dans un entrepôt au sud d’Albany, la capitale de l’État de New York, réussisse à obtenir une première accréditation en 2021. Elle n’a pas franchi l’étape du vote en octobre dernier, alors qu’une majorité de travailleurs ont refusé l’adhésion à un syndicat.

La première et seule tentative fructueuse a eu lieu à Staten Island, toujours dans l’État de New York, où une majorité de travailleurs ont opté pour la syndicalisation en avril 2022.

Invitée à réagir à cette sortie de la CSN, Amazon a fait parvenir à La Presse un courriel reprenant pratiquement mot pour mot sa déclaration faite en mai dernier. « Nos employés ont le choix d’adhérer ou non à un syndicat, écrit Ryma Boussoufa, porte-parole d’Amazon Canada. Cela a d’ailleurs toujours été le cas. En tant qu’entreprise, nous ne pensons pas que les syndicats soient la meilleure réponse pour nos employés. Notre objectif demeure de travailler directement avec nos équipes pour continuer à faire d’Amazon un lieu de travail de choix. »