Au moment où la chaîne d’approvisionnement approche de son point de rupture, la question des relations de travail au port de Montréal s’apprête à revenir sous les projecteurs. Le contrat de travail des débardeurs, décidé par un arbitre le 9 décembre, vient à échéance rapidement dans un an. Ce n’est rien pour offrir de la stabilité après les grèves des dernières années, s’inquiètent les acteurs qui dépendent du transport maritime.

« J’espère qu’on va arrêter d’avoir des claques sur la gueule, lance le courtier en douane Pierre Dolbec, président de Dolbec International. On aimerait avoir un signal positif des parties [le syndicat et l’employeur]. Un autre conflit de travail, ça serait catastrophique. La chaîne d’approvisionnement tient le coup, mais l’élastique est étiré. »

Nommé en mai 2021 après l’adoption d’une loi spéciale par le gouvernement Trudeau pour forcer les quelque 1100 débardeurs du port de Montréal en grève à retourner sur les quais, l’arbitre André G. Lavoie a tranché : rétroactives au 1er janvier 2019, les hausses salariales des travailleurs seront de 18 % sur cinq ans et la convention collective viendra à échéance le 31 décembre 2023.

La convention collective des salariés représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), affilié à la FTQ, est échue depuis la fin de 2018.

Si la décision de M. Lavoie permet de tourner la page sur un conflit, elle met aussi la table à de nouvelles négociations entre l’Association des employeurs maritimes (AEM) et les débardeurs, à couteaux tirés depuis plusieurs années.

L’arbitre lance par ailleurs un message aux deux parties. S’il tranche sur la question salariale et d’autres aspects comme les mesures disciplinaires, il opte pour le statu quo en ce qui a trait à certains points en litige, notamment les horaires et la sécurité d’emploi. À son avis, il s’agit de questions qui doivent être réglées de manière négociée.

« Mon rôle n’est pas de réécrire la convention collective », indique M. Lavoie à deux reprises, en invitant le SCFP et l’AEM à « poursuivre les discussions afin de trouver des aménagements permettant d’atteindre leurs objectifs respectifs ».

Encore des écarts

Sa décision témoigne également du fossé qui sépare les parties. Les débardeurs souhaitaient relancer les négociations immédiatement, tandis que l’Association demandait un contrat de travail valide jusqu’au 31 décembre 2025. De plus, l’arbitre a décrété une hausse salariale de 18 % sur cinq ans tandis que l’employeur proposait 16,75 % pendant sept ans (2025).

La partie syndicale souhaite présenter la décision à ses membres avant de la commenter. Dans un message aux membres que La Presse a pu consulter, le président syndical Martin Lapierre souligne le « travail exceptionnel » des quatre dernières années, sans aller plus loin. L’AEM étudie également la décision.

« Une chose est certaine, nous aurions préféré plus d’une année de stabilité au port de Montréal », a commenté l’Association, dans une déclaration envoyée à La Presse.

Le SCFP et l’AEM devront relancer les discussions alors que les conclusions d’un rapport émanant d’un groupe de travail national prévenaient que la chaîne d’approvisionnement approchait de son point de rupture. Un important coup de barre est nécessaire, soulignait le document.

Dans ce contexte, le spectre d’un nouveau conflit de travail suscite l’inquiétude.

« On souhaite que les deux parties mettent en œuvre dès maintenant des mesures pour développer des relations durables afin d’éviter un nouveau conflit de travail », affirme la directrice des communications à l’Administration portuaire de Montréal (APM), Renée Larouche.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Débardeurs du port de Montréal en grève en avril 2021

En mars 2021, les « épisodes de grève » ainsi que le « climat d’incertitude » avaient fait fléchir les volumes du secteur des conteneurs d’au moins 10 %, selon l’APM. Un conflit de travail nuirait une fois de plus à la performance de l’organisation.

Débardeur, service essentiel ?

À l’heure actuelle, en cas de débrayage, les activités des débardeurs ne sont pas considérées comme des services essentiels. Le Conseil canadien des relations industrielles, tribunal quasi judiciaire spécialisé en relations de travail au fédéral, avait tranché en ce sens en juin 2020 à la suite d’une demande de l’AEM.

Lisez « La chaîne d’approvisionnement approche de son point de rupture »

Chez les associations patronales, qui représentent un grand nombre d’entreprises dépendant des activités du port, on espère éviter les perturbations des dernières années. Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) et le Conseil du patronat du Québec (CPQ) espèrent que le gouvernement Trudeau suivra la situation de près.

« Il n’y avait pas de relations de travail en place au port, rappelle la présidente-directrice générale de MEQ, Véronique Proulx. On pense que le gouvernement fédéral doit commencer à regarder dès maintenant les options pour éviter de revivre ce qu’on a vu dans le passé. »

Le président et chef de la direction du CPQ, Karl Blackburn, abonde dans le même sens. M. Blackburn et Mme Proulx espèrent qu’Ottawa se penchera sur la notion des services essentiels au port en cas de conflit.

Lundi après-midi, le cabinet du ministre fédéral du Travail, Seamus O’Regan, n’avait pas répondu aux questions à ce sujet.

L’Association des employeurs maritimes, c’est quoi ?

Elle est l’employeur des débardeurs, qui chargent et déchargent les navires. L’Association négocie et administre les contrats de travail de ses membres à Montréal, Contrecœur, Trois-Rivières, Bécancour, Hamilton et Toronto.

Le conflit au port de Montréal en quelques dates

  • 31 décembre 2018 : le contrat de travail des débardeurs vient à échéance.
  • 2 janvier 2019 : les syndiqués se dotent d’un mandat de grève.
  • 10 août 2020 : une grève générale illimitée est déclenchée.
  • 21 août 2020 : une trêve de sept mois intervient entre travailleurs et employeur.
  • 26 avril 2021 : nouvelle grève générale illimitée
  • 30 avril 2021 : la loi spéciale qui force un retour au travail est sanctionnée par Ottawa.
  • 25 mai 2021 : les débardeurs contestent la loi devant la Cour supérieure. La cause est toujours pendante.
  • 9 décembre 2022 : un arbitre tranche sur une nouvelle convention collective
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  • 126 000 $
    Salaire moyen d’un débardeur en 2021
    source : association des employeurs maritimes