Avec l’annonce d’un gel de prix sur ses 1500 produits de marque Sans nom, Loblaw force la main de ses concurrents en lançant une première « salve » pouvant donner lieu à une guerre de prix, estiment des experts interrogés par La Presse.

Et cet affrontement, profitable pour les consommateurs, se fera au détriment des fournisseurs, rappellent-ils. De leur côté, les détaillants « ont amplement les moyens de se préparer à lancer ou à subir une guerre de prix », croit Christian Desîlets, professeur de publicité à l’Université Laval. « Un gel de prix, ce n’est pas un énorme sacrifice en soi puisque les marges bénéficiaires ont explosé depuis le début de la pandémie », soutient-il.

Ainsi, Loblaw, entreprise qui compte 200 épiceries Maxi et Provigo au Québec, a annoncé lundi qu’elle gèlerait le prix de ses produits vendus sous sa marque Sans nom jusqu’au 31 janvier 2023. Les 180 magasins Pharmaprix de la province, qui appartiennent au groupe, sont également touchés par cette mesure qui vise à « aider les consommateurs à échapper à la spirale inflationniste ».

Qualifiée de « coup de marketing » par plusieurs spécialistes, cette décision oblige les autres enseignes à démontrer qu’elles font aussi des pieds et des mains pour adoucir leurs prix. « Elles doivent toutes se gratter la tête en ce moment », commente Jordan LeBel, professeur titulaire de marketing alimentaire à l’Université Concordia. « Elles vont devoir réagir, mais elles n’aiment pas l’idée de copier l’une sur l’autre, souligne-t-il. Depuis des années, elles essaient de se différencier. »

« Les bannières doivent se dire : on fait comme Loblaw et on essaie de rendre le panier d’épicerie plus abordable, mais on est assez intelligentes pour faire quelque chose de différent pour essayer de se distinguer un peu. »

« C’est sûr qu’elles vont réagir, mais ça ne veut pas dire qu’elles vont proposer la même chose », croit également JoAnne Labrecque, professeure de marketing à HEC Montréal.

Elle ajoute dans la foulée que toute cette stratégie pourrait mener, à terme, à une « escalade » de prix.

« C’est la première salve d’une guerre de prix », observe lui aussi M. Desîlets.

Réactions des enseignes

Interrogée à propos de l’initiative de Loblaw, Marie-Claude Bacon, vice-présidente, affaires publiques et communications, de Metro, a d’entrée de jeu affirmé que l’entreprise ne commentait pas les annonces des concurrents. Elle a ensuite rappelé qu’entre le 1er novembre et le 1er février, les fournisseurs et les supermarchés conviennent généralement qu’il n’y aura pas de hausse de prix sur l’ensemble des produits et des marques. « Et pendant cette période, on va continuer avec nos promotions », assure-t-elle.

La réplique de Metro, à propos des ententes entre fournisseurs et supermarchés pour ne pas augmenter les prix à certaines périodes de l’année, a fait sursauter Sylvain Charlebois, directeur principal du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie. « Ceci s’apparente à de la collusion », a-t-il écrit en anglais sur son compte Twitter après avoir publié la citation de Metro.

Questionnée sur les arguments soulevés par son compétiteur, Loblaw répond de son côté qu’il y a effectivement une entente avec les fournisseurs pour que ces derniers n’augmentent pas leurs prix entre novembre et février ; par contre, le coût du produit sur la tablette, lui, peut quand même varier « pour toutes sortes de considérations ». « Le prix de détail, c’est une autre histoire, il peut toujours baisser ou augmenter », explique Johanne Héroux, directrice principale, affaires corporatives et communication, de Loblaw.

Il a été impossible d’obtenir les commentaires d’IGA à propos de cette annonce.

Guerre de prix : les gagnants et les perdants

Par ailleurs, cet affrontement entre les détaillants pourrait faire des victimes : les fournisseurs. « Toute cette stratégie-là nous amène directement à la négociation avec les fournisseurs, rappelle Mme Labrecque. Si on garantit des prix dans un contexte où on a des augmentations de structure de coûts, il y a quelqu’un qui absorbe la marge quelque part, et c’est soit le distributeur ou le fournisseur. »

Dans son courriel envoyé lundi aux membres de PC Optimum, programme de fidélité de Loblaw, pour leur annoncer le gel de prix, le président de l’entreprise, Galen G. Weston, n’a pas hésité à renvoyer la balle aux fournisseurs en expliquant que ces derniers demandent des prix plus élevés aux supermarchés. « Et, bien que nous ayons contesté (et que nous continuerons à le faire) toute augmentation injuste des prix, la vérité est que la plupart sont raisonnables, a-t-il toutefois reconnu, les fournisseurs faisant face à des hausses de coûts inégalées depuis des décennies, comme c’est le cas pour l’essence que vous mettez dans votre voiture ou le montant de votre loyer ou de votre hypothèque. »

Et le consommateur ? « C’est temporaire, une guerre de prix, prévient Christian Desîlets. Aucune marque n’a intérêt à ce que ça se prolonge, c’est pour aller chercher des parts de marché rapidement. Ce qu’il faut dire aux consommateurs, c’est profitez-en pendant que ça passe parce que vous allez payer quand ça sera terminé. »