Les inspecteurs de l’Office québécois de la langue française (OQLF) ne débarqueront pas en pleine nuit pour saisir du matériel informatique dans les entreprises. C’est l’un des messages qu’a commencé à diffuser l’OQLF pour rassurer les gens d’affaires, a appris La Presse, alors que de nouvelles contestations de la « loi 96 » s’organisent.

L’OQLF a tenu une dizaine de séances virtuelles avec des représentants de Québec inc. depuis l’adoption de la loi, en juin dernier. Pendant l’une de ces rencontres de 70 minutes, dont nous avons obtenu un enregistrement vidéo, trois conseillers ont tenté de remettre en contexte certaines affirmations largement véhiculées.

« La loi n’a vraiment jamais permis et ne permet pas à l’Office de faire des fouilles, des saisies ou des perquisitions, a expliqué une fonctionnaire. En aucun temps notre personnel n’effectue de telles interventions. »

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Oui, les inspecteurs pourront maintenant visiter des bureaux « à toute heure jugée raisonnable », plutôt que pendant les heures normales d’ouverture. Mais ce changement vise seulement « à aider les entreprises qui ne voudraient pas des inspecteurs pendant que les clients sont là », assure-t-elle.

La conseillère ajoute que les employés de l’OQLF ne sont pas autorisés à « manipuler » des équipements pendant leurs visites. Ils peuvent seulement « consulter, reproduire et prendre en photo certains documents » qui serviront à leur enquête.

Entreprises « souveraines »

La Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français – souvent appelée « loi 96 » – entraînera une série de changements très concrets dans le monde des affaires.

Elle obligera entre autres toutes les PME de 25 à 49 employés – plutôt que 50 – à faire des démarches de francisation et à s’inscrire auprès de l’OQLF. Ce changement fera passer de 8800 à 30 000 le nombre de sociétés inscrites à l’Office d’ici juin 2025.

La marche sera abrupte pour bon nombre d’entre elles, mais l’OQLF semble vouloir faire preuve d’une certaine flexibilité.

« Il est important de préciser que les entreprises sont pleinement souveraines, c’est-à-dire que la Charte (de la langue française), la loi, énonce un certain nombre d’objectifs à atteindre, mais que les moyens pour les atteindre appartiennent aux entreprises », a expliqué un autre conseiller pendant la séance.

Les échéances pour atteindre certaines cibles de francisation pourront être fixées « en fonction de votre réalité d’affaires, en fonction du niveau de complexité des ressources que vous avez à votre disposition », a-t-il ajouté.

« Restreindre » le bilinguisme

Malgré une certaine marge de manœuvre, plusieurs exigences devront être observées de façon stricte. Par exemple : les entreprises sont désormais tenues de « restreindre le plus possible » la quantité de nouveaux postes qui requièrent le bilinguisme.

« Dans vos offres d’emploi, lorsque vous exigez le bilinguisme, vous allez devoir préciser les motifs pour lesquels vous exigez la connaissance d’une autre langue que le français, a expliqué une conseillère. Ça, c’est dès maintenant. »

Elle a aussi rappelé que les employés qui ne maîtrisent pas le français devront acquérir une « connaissance appropriée » de la langue.

« C’est sûr qu’on n’exige pas d’une personne la même connaissance du français si elle a des tâches très routinières et qu’elle est bien capable de comprendre ses tâches en français en quelques mots, explique-t-elle. Par contre, dès qu’on parle de tâches plus complexes, où les gens auront à discuter entre eux lors de réunions, à ce moment-là, c’est le français. »

Plaintes et effectifs en hausse

Le nombre de plaintes liées au non-respect de la Charte de la langue française est en forte augmentation depuis des années au Québec. L’OQLF en a reçu 6292 l’an dernier, presque le double d’il y a deux ans.

La présidente-directrice générale de l’Office, Ginette Galarneau, a refusé les demandes d’entrevue de La Presse. La porte-parole Chantal Bouchard a cependant affirmé que l’OQLF était « bien préparé » à l’entrée en vigueur de la « loi 96 ».

L’organisme a vu son budget annuel passer de 24,1 millions de dollars en 2019-2020 à 32,7 millions en 2022-2023. Pendant la même période, le nombre d’employés devrait passer de 241 à 334, si l’OQLF arrive à pourvoir la trentaine de postes vacants.

Quelque 400 représentants d’entreprises se sont inscrits jusqu’ici aux séances d’information organisées sur la loi 96, indique Mme Bouchard. Elle aussi a tenu à calmer le jeu par rapport aux critiques qui perçoivent l’OQLF comme une « police de la langue ».

« Dans les faits, la Loi a apporté peu de changements à la Charte en ce qui concerne les pouvoirs d’inspection de l’Office, a-t-elle indiqué par courriel. En effet, elle les a plutôt clarifiés et actualisés afin de tenir compte des nouvelles réalités et méthodes de travail des entreprises. »

Québec inc. inquiet

Quoi qu’il en soit, le monde des affaires est loin d’être rassuré. Au cours des derniers mois, une coalition de 150 chefs d’entreprise, incluant ceux d’Exfo, Coveo, Guru et New Look, a signé une lettre ouverte pour demander au gouvernement de François Legault de suspendre l’application de certaines mesures de la loi.

Ces dirigeants redoutent des problèmes de recrutement à l’étranger, une explosion du fardeau bureaucratique, voire un « exode silencieux » des sièges sociaux en raison de toutes les contraintes imposées par la loi 96.

Il s’agit d’une loi qui est claire selon le gouvernement, mais il reste un nombre extrêmement important de questions en suspens et de zones nébuleuses.

Pierre-Philippe Lortie, directeur de la section québécoise du Conseil canadien des innovateurs (CCI)

Diverses contestations judiciaires de la loi 96 ont déjà été lancées. Une nouvelle mise en demeure envoyée à la mi-septembre demande l’invalidation d’un article de la loi, a-t-on appris.

Au cabinet de Simon Jolin-Barrette, ministre sortant de la Justice et responsable de la Langue française (qui restera en poste jusqu’à la formation d’un nouveau cabinet par François Legault), on rappelle que la loi 96 « a été dûment débattue puis adoptée par les représentants élus à l’Assemblée nationale ».

« La langue française n’est pas un frein à l’économie québécoise. Bien au contraire, il s’agit d’une force et les investissements étrangers records à Montréal depuis le début de l’année en témoignent », ajoute son cabinet.

Québec mettra en place d’ici juin 2023 un tout nouvel organisme, appelé Francisation Québec, qui agira comme « guichet unique » pour étendre l’apprentissage du français dans les entreprises et auprès des nouveaux arrivants.