Manipulation du marché, conduite trompeuse et fausses déclarations. Le gendarme boursier américain allègue qu’un groupe d’investisseurs s’est enrichi de plusieurs millions en vendant frauduleusement des actions de l’entreprise de Terrebonne Loop Industries. Son fondateur et PDG, Daniel Solomita, aurait bénéficié du stratagème, qui implique des sociétés offshore et un mystérieux « investisseur âgé ».

Inscrite à la Bourse NASDAQ Global Markets, Loop Industries promet de fabriquer une usine dotée d’une « technologie révolutionnaire » qui permettrait de recycler des bouteilles de plastique en les décomposant en matériaux de grande valeur. Elle a obtenu un prêt de 4,6 millions d’Investissement Québec en 2019, et a reçu la visite du ministre fédéral de l’Environnement et des Changements climatiques, Steven Guilbeault, en juillet dernier.

Au terme d’une enquête, la Securities and Exchange Commission (SEC) vient de déposer une plainte contre les quatre hommes au cœur du stratagème allégué, afin, entre autres, de récupérer les sommes qui auraient été obtenues illégalement entre 2014 et 2018.

L’Autorité des marchés financiers et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont notamment collaboré à l’enquête.

Il est important de souligner que le PDG Daniel Solomita n’est accusé d’aucune malversation dans le cadre de cette affaire, mais est ciblé par une allégation d’« enrichissement injustifié » à titre de tiers.

La plainte allègue qu’il a reçu en 2015 plus de 413 000 $ US pour la vente d’actions de Loop à une entreprise québécoise non identifiée. La transaction aurait impliqué un compte de courtage appartenant à un des membres du conseil d’administration de Loop, Donald Danks, qui y a siégé de 2015 à 2018. La transaction est considérée comme le « fruit d’un stratagème frauduleux » conçu pour « cacher son origine », allègue la SEC.

En entrevue avec La Presse, M. Solomita s’est vivement distancié des allégations et des quatre accusés. « On n’a rien fait de mal. Il y a sept ans, comme petite entreprise qui essayait de lever des fonds, on n’avait aucune idée de la façon dont ces fonds étaient levés. Ce n’est pas comme si on avait [à l’époque] une équipe d’avocats qui pouvaient aller vérifier leur provenance », s’est-il défendu.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Daniel Solomita, PDG de Loop Industries

M. Solomita s’est dit prêt à remettre aux autorités cette somme de 413 000 $ US que lui et son entreprise ont reçue. « Il n’y a aucun problème. On a levé pour plus de 150 millions en financement depuis. Je suis surpris que la SEC ne nous ait pas juste demandé de rembourser la somme », a-t-il commenté.

Sociétés offshore prête-noms

Selon les allégations de la SEC, un investisseur majeur de Loop à l’époque, le Canadien David Stephens, détenait 6,5 millions d’actions de l’entreprise à travers 11 sociétés offshore prête-noms (offshore nominee entities). Grâce à ces sociétés-écrans, il aurait « fait approximativement 4,7 millions en profit en vendant des actions de Loop tout en cachant qu’il contrôlait l’entreprise ». Cette structure complexe lui aurait permis d’« éviter des examens minutieux » par des firmes de courtage et les autorités boursières, écrit la SEC.

Mystérieux « investisseur âgé »

Jonathan Destler, coproriétaire d’une firme de consultants qui aidait Loop dans son lancement, ainsi qu’un courtier, Robert Lazerus, de connivence avec David Stephens, auraient quant à eux vendu pour environ 7 millions d’actions de Loop à un « investisseur âgé » non identifié, sur qui ils exerçaient une « influence significative ».

Les trois hommes auraient « profité de façon répétitive de cette relation » pour « synchroniser les achats d’actions faits par “l’investisseur âgé” de façon à soutenir la valeur de l’action de Loop ».

« Quand l’investisseur âgé achetait des actions, Stephens, Destler et/ou Lazerus revendaient souvent des actions de Loop », résume la plainte.

« Cette activité a bénéficié à Loop non seulement en haussant la valeur de son action de façon générale, mais aussi en soutenant son application pour migrer l’action des marchés hors bourse [over-the-counter markets] vers la plateforme d’échanges NASDAQ, un évènement qui, en lui-même, avait un impact bénéfique sur la valeur de l’action de Loop », écrit la SEC.

Autre tuile

Il s’agit d’une nouvelle controverse pour l’entreprise fondée en 2014 et qui dit avoir conçu une technologie chimique lui permettant de recycler un type de plastique très répandu, connu sous l’acronyme PET, dont sont notamment faites les bouteilles d’eau et de boissons gazeuses. Cette technologie créerait des sous-produits si purs qu’ils pourraient être réutilisés dans l’emballage alimentaire.

Un rapport publié à l’automne 2020 par la firme spécialisée dans la vente à découvert Hindenburg Research, qui s’était appuyée notamment sur le témoignage d’ex-employés, avait émis de sérieux doutes sur la technologie de Loop, qui avait été fortement secouée en Bourse. Elle a néanmoins été capable d’obtenir plusieurs dizaines de millions de dollars en accueillant le géant sud-coréen SK Global Chemical (SKGC) parmi ses investisseurs à l’été 2021. Loop a aussi noué des partenariats avec des multinationales comme Évian.

Loop ne génère toujours aucun revenu. L’entreprise a récemment vendu la moitié d’un gigantesque terrain de 930 000 m2 (10 millions de pieds carrés) à Bécancour, où elle planifie construire sa nouvelle usine.

Des indices à propos des démarches de la SEC figuraient dans le plus récent rapport annuel de l’entreprise. Elle y dévoilait avoir été visée par une ordonnance l’obligeant à fournir des « informations supplémentaires » au sujet de son arrivée en Bourse, qui remonte à 2015. En 2020, la SEC avait aussi demandé des documents portant sur les tests et les résultats de laboratoire concernant le développement des deux premières générations de la technologie de Loop.

M. Solomita assure que les doutes soulevés il y a deux ans par le rapport de Hindenburg Research et les demandes de la SEC n’étaient pas fondés. « On a une des plus importantes compagnies chimiques au monde qui a investi [dans Loop], pour bâtir une usine avec eux en Corée du Sud, et on a des projets en France et un peu partout dans le monde. On peut certifier qu’on a la meilleure technologie, et qu’elle fonctionne. On n’a jamais été dans une aussi bonne position pour démarrer notre usine et on devrait être fiers de ce que cette compagnie a accompli », a insisté le PDG.