Québec et le Directeur général des élections (DGE) soupçonnent Pierre Karl Péladeau de faire volontairement traîner des processus judiciaires afin de repousser l’annulation potentielle de plusieurs centaines de contrats publics de Québecor.

C’est ce que rapporte une décision judiciaire qui ordonne au magnat des communications de faire progresser le dossier en dévoilant l’ampleur des liens commerciaux entre l’État québécois et les différentes entreprises du conglomérat.

« Encore en 2022, trop de litiges civils s’enlisent quand des engagements tardent à être tenus », a dénoncé le juge Pierre-C. Gagnon, de la Cour supérieure. « Les tribunaux ne doivent pas tolérer telles guerres d’usure. »

M. Péladeau a mis Québecor dans le pétrin en 2018 en remboursant lui-même une dette de campagne de 137 000 $, contractée alors qu’il tentait de prendre la tête du Parti québécois (PQ), trois ans plus tôt. Le DGE a interprété ce paiement comme un don, largement supérieur à la limite permise de 500 $.

Pierre Karl Péladeau a donc été accusé de « manœuvre électorale frauduleuse », un type d’infraction qui entraîne une interdiction de conserver ou d’obtenir pour cinq ans tout contrat public au Québec.

L’interdiction toucherait, par exemple, toutes les ententes entre Québecor et les ministères, villes, hôpitaux et écoles de la province.

M. Péladeau a d’abord plaidé coupable à l’infraction, avant de réaliser « que toute entreprise dans laquelle [il a] un intérêt serait de ce fait inscrite au Registre des entreprises non admissibles à contracter avec un organisme public », a-t-il relaté dans ses procédures judiciaires. Il a aussitôt retiré sa reconnaissance de culpabilité. Puis, en 2020, il a lancé des procédures pour faire déclarer inconstitutionnels les articles concernés de la Loi électorale et de la Loi sur les contrats des organismes publics.

Une « stratégie dilatoire », dit le DGE

Or, ces procédures constitutionnelles s’allongent. Et pendant ce temps, le procès pénal de M. Péladeau en vertu de la Loi électorale est suspendu et sa conclusion potentiellement explosive retardée d’autant. Le DGE a tenté de faire prioriser le dossier pénal sur le dossier civil en multipliant les recours (qui ont eux-mêmes créé des délais), mais en vain.

Dernier obstacle en lice : après en avoir pris l’engagement, les avocats de M. Péladeau ont refusé de transmettre une liste qui décrirait l’ampleur des contrats publics menacés par une déclaration de culpabilité.

Le DGE entend démontrer que M. Péladeau n’a pas agi à l’intérieur d’un délai raisonnable, ce qui trahit une stratégie dilatoire pour retarder considérablement la tenue du procès pénal [concernant cette infraction].

Le juge Pierre-C. Gagnon

Mêmes reproches du côté de Québec : « Le procureur général du Québec soupçonne les demandeurs de ralentir la bonne marche de ce dossier », rapporte le juge Gagnon, de la Cour supérieure, dans une décision du 15 septembre.

Le magistrat a obligé les avocats de M. Péladeau à respecter l’échéancier auquel ils s’étaient engagés. Il les a toutefois relevés de faire la liste de tous ses contrats publics : ce sont plutôt des données générales sur les catégories de contrats qui devront être dévoilées.

« L’ensemble de nos démarches vise à reprendre la poursuite pénale le plus rapidement possible », a expliqué Julie St-Arnaud Drolet, porte-parole du DGE.

Pierre Karl Péladeau et Québecor n’ont pas répondu à la demande de commentaires de La Presse.