La grande réforme promise par Québec pour récupérer des millions dans les paradis fiscaux et forcer les entreprises à être plus transparentes sera repoussée d’au moins six mois, a appris La Presse.

La Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises, adoptée par l’Assemblée nationale en juin 2021, devait entrer en vigueur dans quelques jours, le 1er octobre. Sa mise en application a discrètement été reportée au 31 mars 2023.

Le gouvernement de François Legault mise gros sur cette loi pour faire du Québec l’un des leaders canadiens, voire mondiaux, en cette matière. La patience sera de mise, puisque les entreprises bénéficieront d’une période transitoire d’un an – jusqu’au printemps 2024 – pour s’y conformer.

La loi obligera quelque 975 000 sociétés inscrites au Registre des entreprises du Québec à dévoiler l’identité réelle de leurs « bénéficiaires ultimes ». Ceux qui détiennent plus de 25 % des parts ou des droits de vote ne pourront plus se cacher derrière une société-écran des îles Vierges britanniques ou d’un autre paradis fiscal.

Québec espère ainsi récupérer une partie des 3,8 milliards de dollars qui lui échappent chaque année en raison de l’évasion fiscale.

Problèmes informatiques

Pourquoi repousser l’entrée en vigueur de six mois ? « Enjeux informatiques », résume à La Presse le ministre sortant du Travail, Jean Boulet, qui avait fait de cette réforme l’un de ses principaux chevaux de bataille.

C’est un détail en apparence anodin, ajouté à la fin de l’étude du projet de loi, qui aurait complexifié la tâche des programmeurs informatiques du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS).

La Loi obligera les entreprises à fournir une copie de pièce d’identité de leurs administrateurs, une exigence qui a causé de sérieux maux de tête aux programmeurs, indique-t-on. Ceux-ci tenteront de régler ce problème technique au cours des prochains mois.

Bien que le mois d’octobre ait été évoqué lors des travaux parlementaires, en raison de l’ampleur des travaux et particulièrement dans le domaine des technologies de l’information (T. I.) pour un projet de cette envergure, cette entrée en vigueur aura lieu le 31 mars 2023.

Catherine Poulin, porte-parole du MTESS

Selon nos informations, le manque de professionnels en T. I. aurait aussi un rôle à jouer dans ce retard.

Le nombre de postes vacants en informatique au sein de la fonction publique québécoise a grimpé de 6,9 % à 12,3 % entre 2015 et 2020, indique le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec. L’écart de rémunération avec le secteur privé continue à causer des « problèmes de recrutement ».

Déception

Ce report de six mois, auquel s’ajoute une période transitoire d’un an, déçoit le collectif Échec aux paradis fiscaux.

« C’est nettement trop long, un an et demi : il faudrait plus de célérité de la part du gouvernement, lance le coordonnateur Edgar Lopez-Asselin. Ça va leur donner plus de temps [aux entreprises] pour trouver des façons d’éviter de se conformer. On l’a vu dans d’autres pays. »

Son regroupement a déjà dénoncé certains aspects de la nouvelle loi québécoise dans la foulée de son adoption, des critiques partagées par l’Ordre des CPA et le Parti libéral du Québec.

Le principal écueil, selon eux, est le seuil de 25 % retenu pour qu’une personne ou une entité soit considérée comme le « bénéficiaire ultime » d’une entreprise. Ils auraient plutôt souhaité un seuil de 10 %, qui aurait forcé plus d’actionnaires à divulguer leur véritable identité.

Malgré les critiques et les retards, la nouvelle loi québécoise a été largement saluée. Le ministre sortant Jean Boulet, qui tente de se faire réélire à Trois-Rivières, estime que « grâce à cette loi, le Québec devient un leader en matière de transparence corporative en Amérique du Nord ».

Le ministère du Travail recevra 4,9 millions de dollars sur cinq ans et doit embaucher une trentaine de personnes pour assurer la mise en place du nouveau registre. Le gouvernement fédéral compte aussi en créer un, mais pas avant 2025.

La nouvelle loi en bref

  • Vise à contribuer « aux actions de prévention et de lutte contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et la corruption » ;
  • Obligera les entreprises à divulguer au Registraire le nom des personnes qui exercent le contrôle de fait ou qui détiennent ultimement 25 % ou plus de ses actions, information qui sera rendue publique ;
  • Permettra de recueillir les pseudonymes utilisés au Québec par les bénéficiaires ultimes ;
  • Permettra d’effectuer une recherche dans le registre à partir du nom et du prénom d’une personne physique ;
  • Mettra en place l’obligation de transmettre au Registraire une pièce d’identité pour les administrateurs déclarés au registre ;
  • Prévoit le dépôt à l’Assemblée nationale d’un rapport de mise en œuvre 5 ans après son entrée en vigueur.