(Montréal) Des défenseurs des droits des voyageurs accusent Air Canada de contrevenir aux règles fédérales en refusant de verser une indemnité aux passagers dont le vol a été annulé en raison du manque de personnel.

Selon la Charte canadienne des droits des passagers aériens, une compagnie aérienne doit prévoir des indemnités pouvant atteindre 1000 $ « en cas de retards et d’annulations dans des situations attribuables au transporteur, mais qui ne sont pas nécessaires par souci de sécurité », et si le passager en est informé 14 jours ou moins avant l’heure de départ.

Mais les compagnies aériennes n’ont pas à verser un sou si le vol est annulé pour des raisons de sécurité.

Dans une note remise le 29 décembre, Air Canada a donné à ses employés la directive de classer les vols annulés faute de personnel comme un problème « de sécurité ». Les clients touchés par les annulations étaient admissibles aux normes concernant le logement et les repas, mais pas à l’indemnité prévue dans la Charte.

Selon la note, cette politique devait être « temporaire ». Toutefois, Air Canada a reconnu dans un courriel transmis le 25 juillet qu’elle « était encore en place à cause des circonstances persistantes provoquées par les variants de la COVID ».

L’Office des transports du Canada (OTC) dit qu’assimiler le manque de personnel à un problème de sécurité contrevient aux règles fédérales. Elle affirme que le manque de personnel dû « à l’action ou à l’inaction du transporteur » entre dans la catégorie des situations qui lui sont attribuables.

« Une perturbation causée par un manque de personnel ne peut pas être considérée comme étant due [à] des raisons de sécurité si ce manque est le résultat des propres actions de la compagnie », a indiqué l’agence dans un courriel.

Dans une décision publiée le 8 juillet, l’OTC utilisait un langage similaire. Elle rappelait à l’ordre la compagnie WestJet en soulignant que le transporteur devait s’assurer « de la disponibilité de suffisamment de personnel pour exploiter les services qu’il offre en vente ». WestJet avait tenté de se défendre en reconnaissant que l’annulation lui était attribuable, mais qu’elle était nécessaire par souci de sécurité.

Le président du groupe de presse Droits des voyageurs, Gabor Lukacs, reproche à Air Canada d’exploiter « illégalement » une lacune dans la Charte pour éviter de verser une indemnité à ses clients. Il demande à l’OTC d’être plus sévère dans l’application de la Charte.

« [Air Canada] interprète faussement des choses qui ne sont nettement pas des problèmes de sécurité », lance-t-il.

Les clients peuvent interjeter appel d’une décision d’une compagnie aérienne en présentant une plainte à l’OTC. Toutefois, celle-ci doit examiner un grand nombre de dossiers. En mai, on en dénombrait 15 300 liés à des compagnies aériennes.

M. Lukacs mentionne que dans l’Union européenne, les compagnies aériennes ne peuvent pas évoquer des raisons de sécurité pour éviter de verser une indemnité aux passagers en cas d’annulation. Seules des « circonstances extraordinaires » comme de mauvaises conditions météorologiques ou l’instabilité politique peuvent libérer les compagnies de l’obligation de verser une indemnité.

Sylvie Bellefeuille, présidente du groupe Option consommateurs, dit que la note d’Ar Canada démontre que la priorité de la compagnie aérienne est de limiter les coûts d’une annulation d’un vol au lieu de procurer un bon service à ses clients.

Elle accuse Air Canada de chercher à dissuader ses clients de demander une indemnité. « Cette tactique ne démontre pas, selon nous, que la compagnie se préoccupe de ses clients. »

Il va de soi que le transporteur ne partage pas cette opinion.

« Air Canada avait et continue d’avoir plus d’employés par rapport à son calendrier de vols comparativement à la période précédant la pandémie », se défend la compagnie dans un courriel. Elle ajoute qu’elle fait tout son possible pour se préparer à des pépins opérationnels.

« Air Canada continue de se plier à toutes les directives de santé publique. C’est dans sa culture de sécurité. Nous avons révisé notre politique au cours de la vague d’Omicron, qui a perturbé la disponibilité de notre personnel, l’hiver dernier, afin de mieux aider nos clients, notamment lors d’annulations de vol liées à des membres d’équipage absents à cause de la COVID. »

John Gradek, spécialiste de la gestion en aviation de l’Université McGill, estime que l’OTC est en partie responsable de cette « débâcle » parce qu’elle a établi des règles plus souples qu’en Europe ou aux États-Unis.

« Les transporteurs ont fait de grands efforts pour rejeter des blâmes et prétendre qu’ils n’avaient pas de contrôle sur les retards afin de réduire leur responsabilité », dit-il.