Les hauts dirigeants de Rogers affirment ne pas avoir pu prévoir la panne du 8 juillet qui a paralysé les appels au 911 et les paiements directs un peu partout au pays. Son président-directeur général a mis plusieurs heures avant d’aviser le cabinet du ministre François-Philippe Champagne malgré l’ampleur et la gravité du problème.

(Ottawa) Mea culpa

« Ce jour-là, nous avons échoué à être le réseau le plus fiable au Canada », a admis le PDG de Rogers, Tony Staffieri, lors de son témoignage lundi devant le comité permanent de l’industrie et de la technologie. Cette journée d’audiences a été organisée en pleine relâche estivale des travaux parlementaires pour faire la lumière sur la panne qui a privé de service environ 10 millions de clients de Rogers Communications. Cette interruption « sans précédent » causée par une mise à jour d’un logiciel a touché « le cerveau de notre réseau », a expliqué le nouveau chef de la direction de la technologie, Ron McKenzie. La mise en œuvre de cette mise à jour était prévue en sept étapes et il n’y avait eu aucun pépin lors des cinq étapes précédentes. Les tests préalables n’avaient également révélé aucune anomalie.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Tony Staffieri, PDG de Rogers

M. Staffieri a dit regretter de ne pas avoir avisé immédiatement le cabinet du ministre Champagne, au moment où la panne empêchait l’accès aux appels d’urgence et paralysait le système Interac. L’entreprise a promis d’injecter 10 milliards au cours des trois prochaines années pour, entre autres, améliorer ses tests et entend séparer ses réseaux de téléphonie cellulaire et de l’internet pour éviter une panne des deux services à la fois. Elle a réitéré avoir offert un crédit de cinq jours à ses abonnés. C’était la deuxième panne en un peu plus d’un an. La première avait eu lieu le 19 avril 2021.

Le transfert des appels au 911 a échoué

Un protocole existait déjà pour transférer les appels au 911 des clients de Rogers vers un autre réseau, mais il a échoué lors de la panne du 8 juillet. « Pour des raisons techniques très spécifiques, ce transfert automatique ne s’est pas produit », a admis le PDG en réponse à la question de la députée conservatrice Tracy Gray. Cette information jette le doute sur l’entente que doivent conclure les grands acteurs de cette industrie à la demande du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, pour assurer que les appels d’urgence se rendent en tout temps. « Je ne leur ai pas demandé, je leur ai exigé d’entrer dans un contrat formel », a insisté M. Champagne lors de son témoignage, précisant que « ce n’est qu’un début ». Il leur reste 45 jours pour y parvenir. Tony Staffieri a assuré qu’il serait à la hauteur des attentes.

Les députés conservateur Bernard Généreux et néo-démocrate Brian Masse n’ont pas caché leur scepticisme. « Quelle sera la pénalité si les entreprises ne sont pas capables de s’entendre ? », a demandé M. Généreux. « La bonne foi des patrons des entreprises de télécommunications ne doit pas dépendre de leur bon vouloir ou si vous golfez avec eux ou pas », a fait valoir M. Masse. Le PDG de Rogers a évité à plusieurs reprises de dire s’il considérait les services de Rogers, particulièrement celui de la téléphonie cellulaire, comme étant un service essentiel, lors de son témoignage. Il a également refusé de quantifier les profits de Rogers, se limitant à dire que cette information était déjà publique.

Fusion Shaw et Rogers

Le rôle du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et l’acquisition de Shaw ont été critiqués par trois experts et par le président du Centre pour la défense de l’intérêt public, un organisme de défense des consommateurs. L’industrie de la télécommunication compte cinq grands acteurs au Canada qui accaparent 87 % du marché : Rogers, Bell, Telus, Shaw et Vidéotron, a indiqué le professeur de communications Dwayne Winseck, de l’Université Carleton. Si Rogers achète Shaw, elle détiendra le tiers du marché. « C’est trop de contrôle sur des services de communications essentiels qui serait entre les mains d’une seule firme, a-t-il affirmé. C’est risqué, c’est une mauvaise idée et j’exhorte les élus à bloquer cette transaction. »

Le PDG de Rogers a défendu l’acquisition de 26 milliards qui lui fournirait « un réseau alternatif ». Le Bureau de la concurrence s’y oppose et l’affaire est maintenant devant les tribunaux. L’approche laxiste du CRTC, qui est chargé de réglementer l’industrie des télécommunications, a été dénoncée par ces experts. Le CRTC doit mener une enquête sur la panne de Rogers, mais a écarté l’idée de faire une enquête publique. L’idée d’adopter une charte des consommateurs a été évoquée pour encadrer les compensations à accorder. Questionné à plusieurs reprises pour savoir s’il aurait besoin de nouveaux pouvoirs, son président Ian Scott a indiqué que rien n’aurait permis de prévoir cette panne et que la fiabilité des réseaux internet et cellulaire peut être assurée par l’industrie.