Sarah Segal nous reçoit avec le sourire. Elle semble détendue et bien dans sa peau. Elle aurait pourtant bien des raisons de se sentir autrement. L’action de l’entreprise qu’elle dirige est au plancher, elle essuie publiquement des critiques, et son cousin cofondateur de DavidsTea vient de lancer une entreprise concurrente.

Dans la toute première entrevue qu’elle accorde depuis sa nomination au poste de chef de la direction de DavidsTea en décembre 2020, celle qui vient d’accoucher de son deuxième enfant en trois ans — et qui a fait le choix de ne pas prendre un congé de maternité — reconnaît une certaine pression.

« On a beaucoup de choses à accomplir. Mais ce n’est pas que moi qui la sens [la pression]. C’est l’entreprise au complet qui sent qu’on a quelque chose à terminer. Nous avons amorcé une transition. On est prêts à passer à une autre étape. On est prêts à créer une entreprise mondiale. On comprend que c’est un gros engagement », dit la femme de 37 ans.

Fondé en 2008 et inscrit au NASDAQ sept ans plus tard, le détaillant montréalais DavidsTea a connu une croissance rapide. Le marchand de thé exploitait plus de 230 boutiques avant la pandémie. Il n’y en a plus que 18 aujourd’hui. Après avoir frôlé la barre des 30 $ US en 2015, l’action de DavidsTea a touché un plancher de 1,12 $ US ce mois-ci.

Les fondateurs, Herschel Segal (père de Sarah) et David Segal (cousin de Sarah), n’occupent plus de fonctions officielles au sein de l’entreprise.

David Segal vient de s’associer au président de Shopify, Harley Finkelstein, pour lancer Firebelly Tea et ainsi concurrencer DavidsTea, l’entreprise qui porte son nom et qu’il a fondée avec le père de Sarah.

« Je suis demeuré un grand buveur de thé. Je collectionne le thé comme d’autres collectionnent le vin », dit David Segal au téléphone. « Je voulais revenir dans le secteur et créer une entreprise pour laquelle je serais le plus grand client », lance-t-il avec un sourire dans la voix.

C’est ainsi que Firebelly Tea a démarré ses activités (uniquement en ligne) en novembre dernier. David Segal dit ne pas avoir songé à retourner chez DavidsTea, ni à en discuter avec sa cousine, ni même avec Herschel Segal.

J’ai quitté DavidsTea en 2016 et nous avons emprunté des chemins différents.

David Segal au sujet de sa cousine Sarah Segal

David Segal soutient être en paix avec son passage chez DavidsTea, sans vouloir offrir davantage de détails entourant son départ. « Il n’est pas inhabituel de voir le fondateur d’une entreprise partir », dit-il simplement en espérant maintenant que ceux qui ont apprécié les produits de DavidsTea essaieront ceux de Firebelly.

Sarah Segal ne démontre de son côté aucun intérêt à parler de Firebelly Tea ou de son cousin. Elle préfère ramener la conversation sur DavidsTea.

Répondre aux détracteurs

La critique ne semble par ailleurs pas déranger Sarah Segal. Plus tôt ce mois-ci, un article publié sur le site financier SeekingAlpha a soutenu qu’elle n’avait pas les qualifications requises pour diriger DavidsTea.

« Je ne suis pas seule, répond-elle. Je travaille avec une équipe très qualifiée. Je ne porte pas trop attention à ces commentaires. Les résultats parleront d’eux-mêmes. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Sarah Segal souhaite rehausser la notoriété de la marque DavidsTea. L’entreprise a notamment commencé à diffuser du contenu sur TikTok durant la pandémie.

Sarah Segal a grandi dans une famille passionnée par le commerce de détail. Elle dit parler tous les jours à son père Herschel, plus important actionnaire de DavidsTea, conseiller stratégique et fondateur du détaillant Le Château. « J’apprécie beaucoup ses idées et son expérience en commerce de détail », dit-elle.

La mère de Sarah Segal joue aussi un rôle important. Jane Silverstone est présidente du conseil d’administration de DavidsTea et est une ex-dirigeante chez Le Château.

Si DavidsTea a été forcé de se réorganiser durant la pandémie en faisant appel à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies au Canada et au chapitre 15 du code des faillites aux États-Unis, Sarah Segal a au même moment fait un cheminement similaire avec son entreprise de jujubes, Squish Candy.

DavidsTea était d’ailleurs un des créanciers ayant des réclamations à l’endroit de Squish Candy conformément à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. La proposition de Squish Candy à ses créanciers a depuis été acceptée, et l’entreprise de bonbons poursuit aujourd’hui ses activités, mais uniquement en ligne.

Les 20 boutiques Squish Candy ont fermé. Sarah Segal est toujours propriétaire de Squish Candy, mais elle a confié la gestion de l’exploitation à d’autres pour concentrer ses efforts sur DavidsTea.

Avoir un impact

Sarah Segal dit voir sa nomination à la tête de DavidsTea comme l’occasion d’avoir un impact sur l’entreprise. « Ça me permet de prendre du recul et de penser à long terme au lieu de simplement penser aux tâches quotidiennes. »

DavidsTea a plusieurs occasions à saisir, selon elle. Des boissons prêtes à boire sont sur le point d’être lancées sous la forme de thés déjà infusés et prêts à consommer.

On n’a pas toujours le temps d’infuser des feuilles. Même moi, qui adore boire du thé en feuilles. Je suis souvent à la course et parfois je désire simplement prendre une boisson prête à boire.

Sarah Segal, cheffe de la direction de DavidsTea

Un retour sur le marché américain est également dans la ligne de mire, mais par la vente en gros avec une présence dans de grands magasins. L’entreprise entend s’inspirer de l’approche utilisée au Canada, où les produits DavidsTea sont présents dans plus de 3300 supermarchés et pharmacies.

Sarah Segal souhaite aussi améliorer la notoriété de la marque et l’expérience de magasinage en ligne. Elle estime que le programme de fidélité et de récompenses renferme un potentiel intéressant pour faire mousser les ventes.

Elle évoque aussi un partenariat qui commence ce mois-ci avec Lululemon, à Boston, où des boissons seront offertes dans des magasins éphémères (pop-up stores). Elle souligne qu’il s’agit d’un test. « On verra pour la suite », dit-elle.

Ventes sous pression

Le redressement des ventes demeure une priorité. Elles ont reculé de 12 % durant le trimestre de début d’exercice cette année. Les ventes ont diminué de 15 % en 2021 alors qu’elles avaient déjà baissé de 38 % en 2020.

Sarah Segal n’est pas encore prête à chiffrer des objectifs de ventes pour les prochaines années. Elle parle néanmoins avec assurance de la stratégie et se montre très à l’aise avec le positionnement de l’entreprise.

« Les gens sont de plus en plus intéressés par leur bien-être. On a un produit bon pour la santé. On est à un bon endroit pour poursuivre la croissance. Je suis très confiante », dit-elle.