Pour s’assurer de réussir à embaucher de la précieuse main-d’œuvre qualifiée, les employeurs font dorénavant la chasse aux stagiaires. En scellant par contrat leur fidélité à l’entreprise, les étudiants des universités québécoises peuvent obtenir bourses et bonis.

Après son premier stage en génie du bois, Jean-Sébastien Lavoie s’est fait offrir par l’employeur trois bourses de 1000 $ pour les trois sessions d’études qui lui restaient à l’Université Laval. « J’ai dû signer un contrat. Si je pars avant trois ans, il faut que je rembourse une partie de la bourse », explique au téléphone le nouveau diplômé, qui affirme avoir vraiment envie de travailler dans cette usine de fabrication de cercueils.

« Comme je ne voulais pas travailler pendant mes études, l’employeur m’a offert ces bourses pour me garder, j’imagine. »

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Brigitte Watier, directrice de l’enseignement coopératif à l’ETS

La chasse est ouverte

« On reçoit plus d’offres de stages qu’il y a d’étudiants disponibles, affirme Brigitte Watier, directrice de l’enseignement coopératif à l’École de technologie supérieure (ETS). La pénurie de main-d’œuvre dont tout le monde parle, on la vit au niveau des stagiaires. »

« On assiste à une augmentation des offres à l’Université de Sherbrooke », soutient Alain Tremblay, directeur du service des stages et du développement professionnel à l’Université de Sherbrooke.

On a reçu 40 % plus d’offres de stages que l’année passée à pareille date. Les gens voient ça comme une porte d’entrée pour combler les besoins de main-d’œuvre.

Alain Tremblay, directeur du service des stages et du développement professionnel à l’Université de Sherbrooke

Le directeur explique qu’avant, il aidait les étudiants à trouver des stages, alors que maintenant, il doit les accompagner dans leurs multiples choix.

« Certains étudiants sont anxieux et on leur ajoute une couche de plus d’anxiété, parce qu’ils sont hyper sollicités, qu’ils se font offrir des choses et qu’on leur met un peu de pression pour qu’ils acceptent », relate Alain Tremblay.

Les étudiants qu’on s’arrache le plus font partie des programmes de génie, d’administration et d’informatique.

« C’est comme dans le marché des postes permanents, observe aussi Marco Beaulieu, chef acquisition de talent et expérience de stage chez Bombardier. La chasse aux stagiaires, elle est aussi forte que la chasse aux talents. »

La multinationale canadienne emploie 1200 stagiaires par année depuis 2018. Plus de la moitié des étudiants, soit 55 %, sont en ingénierie et 45 %, en marketing, ressources humaines, communications et finances.

« Il y a plus de demandes de stagiaires que de stagiaires disponibles », confirme Marco Beaulieu.

Celui qui œuvre autant dans le recrutement de talents que de stagiaires constate une augmentation de la popularité des stages auprès des employeurs, car les stages sont plus révélateurs de la qualité d’un employé qu’une simple entrevue d’embauche.

L’intérêt pour les stages s’est aussi accru avec les subventions du gouvernement du Canada. Le Programme de stages pratiques pour étudiants accorde de 5000 $ à 7000 $ par stagiaire et peut être combiné au crédit d’impôt provincial.

« Les entreprises courent toutes après les mêmes candidats, mais on a la chance d’avoir un bon programme bien encadré avec de bons projets, et ça porte ses fruits », indique Louise Charest, directrice de l’acquisition de talents chez Desjardins, qui a augmenté son offre de stages en raison de la croissance de l’institution.

Le taux de conversion de stagiaires en employés est de 73 % depuis 2019, soutient-elle.

Sollicitation, cadeaux ou culture

Le directeur du service des stages à l’Université de Sherbrooke a observé plusieurs techniques de séduction de la part des employeurs. Certains appellent les étudiants pour s’assurer qu’ils feront une bonne évaluation de leur entreprise, d’autres font des « gaffes » en prétendant à plusieurs stagiaires qu’ils sont vraiment le « meilleur candidat ». Or, les étudiants se parlent entre eux, souligne-t-il.

Le fait d’offrir des bourses d’études et des bonis en argent avec un contrat garantissant le retour du diplômé comme employé est de plus en plus fréquent, observe Alain Tremblay, de l’Université de Sherbrooke.

« Ce sont des choses qu’on déconseille, précise-t-il. Notre rôle de conseiller est d’amener l’étudiant à réfléchir. Oui, c’est le fun de se faire payer ses études par une entreprise, mais es-tu sûr que c’est à cet endroit que tu voudras travailler à la fin de tes études ? Ne préfères-tu pas choisir ? Parce que dans quatre ans, il va y avoir autant d’emplois. »

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Lilian Nguemtchouang a choisi de faire un stage chez Bombardier en raison de l’entrevue et de la culture de l’entreprise.

Ce n’est pas un boni qui a poussé Lilian Nguemtchouang à choisir Bombardier pour son stage, mais la façon dont la recruteuse a mené l’entrevue qui avait « plus des airs de discussion que d’interrogatoire », raconte la future diplômée en génie électrique de l’Université Concordia.

« J’ai beaucoup apprécié sa chaleur et son intérêt pour ma personne. Certaines entrevues que j’avais eu à faire étaient très focalisées sur le parcours scolaire et les connaissances techniques, et beaucoup moins sur l’individu lui-même. En fait, c’est la culture même de cette entreprise qui m’a conquise », conclut-elle.

Les stages suivent la mode hybride

À l’image du marché du travail, les stages ont changé en deux ans. Comment se déroulent les stages en mode hybride ? Ont-ils la même valeur qu’avant ? Tour d’horizon.

Après avoir suivi deux stages en mode virtuel, Jean-François Vo, étudiant de troisième année en génie logiciel à l’Université Concordia, était soulagé d’effectuer celui de cet été en mode hybride.

« Toujours être en ligne, c’est fatigant et démotivant », affirme-t-il sans détour lors d’une rencontre par Teams avec La Presse.

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Jean-François Vo, stagiaire chez Desjardins Digital

Quand on fait des stages en virtuel, ça prend un peu de temps à s’échauffer à l’équipe et à s’ouvrir.

Jean-François Vo, étudiant en génie logiciel à l’Université Concordia

Jean-François Vo avait hâte de vivre une vraie collaboration d’équipe, comme celle qu’il vit actuellement dans l’escouade stagiaire Desjardins Digital : 12 étudiants, provenant d’universités et de programmes différents, ont l’été pour trouver une solution réelle à une problématique possible dans l’institution.

« Ma motivation est plus élevée quand on travaille sur place en équipe. La communication est plus facile et le midi, on sort s’acheter un lunch ensemble », raconte Jean-François Vo, stagiaire développeur en génie logiciel chez Desjardins Digital.

40 % en hybride

Selon les données recueillies par l’Université de Sherbrooke, 58 % des stages se déroulaient en mode hybride au Canada en octobre 2021. Actuellement, à l’Université de Sherbrooke, 40 % des étudiants font leur stage en mode hybride ou en télétravail complet.

Pour ce qui est des stages en communication, en informatique et en administration, le pourcentage est plus élevé, indique Alain Tremblay, directeur du service des stages et du développement professionnel à l’Université de Sherbrooke.

« Quand on regarde les offres de stages qu’on a pour cet automne, on voit que la tendance continue. On a 22 % des offres qui sont en hybride et 33 % des offres qui mentionnent que le stage sera en personne », observe-t-il.

Des avantages et des craintes

Le directeur du service des stages affirme que certains étudiants voient d’un bon œil les stages en télétravail, car ils n’ont pas besoin de quitter leur appartement de Sherbrooke et peuvent obtenir un stage dans des entreprises internationales.

Or, l’Université, qui offre des programmes d’études avec un régime coopératif depuis nombre d’années, fait face à un nouvel enjeu : la supervision des étudiants.

« On a certaines craintes et ça nous préoccupe, affirme Alain Tremblay. Chacun des étudiants est suivi par un conseiller en développement professionnel de chez nous et c’est cet accompagnement-là qu’on est en train de travailler, puis d’ajuster.

« Oui, le stage est un milieu d’expérimentation pour les étudiants, mais ils sont aux études et doivent être accompagnés. Il y a certains étudiants pour qui ça va super bien et d’autres pour qui c’est plus difficile. On joue le rôle d’intermédiaire. »

Mentor : plus important que jamais

L’équipe de l’Université de Sherbrooke visite systématiquement toutes les nouvelles entreprises qui offrent des stages. Elle a aussi développé un guide dans lequel l’étudiant doit faire un rapport d’étape et répondre à des questions précises : est-ce que ça se passe bien ? ; est-ce que tu as rencontré ton superviseur ? ; est-ce que les mandats sont clairs ? ; est-ce que tu as tous les outils pour réussir ton travail ?

« Ça se déroule très bien à notre grande surprise, relate Marco Beaulieu, chef acquisition de talent et expérience de stage chez Bombardier. Est-ce que sur les 1200 stagiaires, il y en a qui ont été oubliés, probablement, mais ce n’est pas ressorti dans nos sondages qu’on fait régulièrement pour savoir comment se déroule le stage (première semaine, évaluation de mi-session, etc.). »

Les stagiaires ne semblent pas déçus de leur stage. Je n’ai pas eu de fluctuation dans le taux de satisfaction des stagiaires et des superviseurs pour les années 2020 et 2021.

Marco Beaulieu, chef acquisition de talent et expérience de stage chez Bombardier

Chez Bombardier, une grande importance est accordée aux premières journées d’accueil et à l’encadrement étroit par le superviseur tout au long du stage.

« Il y a ce qu’on appelle un point de contact qui est fait avec les membres de l’équipe pour connaître leur niveau de stress, savoir s’ils ont besoin d’aide, s’il y a des urgences. Il y a aussi des rencontres un à un avec le superviseur. »

Pour la session de stages d’été 2022, stagiaires et superviseurs retournent au bureau une ou deux journées par semaine et sont heureux de pouvoir ainsi socialiser, relate Marco Beaulieu.

Avoir un parrain de stage, un mentor est encore plus important qu’avant, estime Louise Charest, directrice de l’acquisition de talents chez Desjardins. Il faut garder le lien étroit avec le stagiaire, avoir un contact régulier, soutient-elle. « Le souci de l’autre, c’est hyper important pour qu’il y ait une belle intégration. »

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Jérémy Lauzon-Grenier, directeur TI chez Desjardins Digital (à gauche) et des stagiaires

En stage comme dans la réalité de 2022

Le but d’un stage, c’est d’intégrer les étudiants sur le marché du travail tel qu’il est et sera pour eux, affirme de son côté Brigitte Watier, directrice de l’enseignement coopératif à l’École de technologie supérieure (ETS), qui place en stage 3500 étudiants par année dans plus de 2000 entreprises.

« Donc si le marché du travail fait en sorte qu’il y a beaucoup d’emplois qui se font en télétravail ou en mode hybride, bien, on se doit de former les étudiants pour qu’ils fonctionnent dans le marché actuel. »

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  • 3500
    Nombre d’étudiants de l’ETS placés en stage chaque année dans plus de 2000 entreprises
    ETS