Depuis le début de la pandémie, de nombreux restaurateurs ont décidé d’imposer un « régime minceur » à leur menu. La hausse généralisée du coût des aliments et le manque d’employés en cuisine obligent les établissements à réduire leurs cartes, si bien que certaines ont même perdu la moitié des plats qui y figuraient.

Réduction du nombre d’articles, changements de prix, substitution d’une protéine par une autre : les menus n’auront jamais été autant sous la loupe des propriétaires, ont confirmé à La Presse bon nombre d’entre eux.

« On a moins de monde en cuisine avec la pénurie de main-d’œuvre », rappelle Pierre Moreau, président-directeur général de Restos Plaisirs (Cochon dingue, Lapin sauté, Café du monde). « En ayant moins d’articles au menu, ça nous permet de limiter la mise en place avant les repas, de limiter la courbe d’apprentissage des plats en cuisine, d’améliorer la fraîcheur des aliments parce que tu as plus de roulement et d’ajuster les menus en fonction du coût des denrées. »

Dans plusieurs de ses établissements, tous situés dans la région de Québec, le groupe a réduit ses menus de 25 % à 40 %. Dans certains cas, affirme M. Moreau, la moitié de la carte s’est envolée en fumée.

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Pierre Moreau, président-directeur général de Restos Plaisirs

Si on avait 10 entrées, on en a peut-être juste 5. Si on avait 12 ou 14 plats principaux, on en a peut-être juste 6 ou 7.

Pierre Moreau, président-directeur général de Restos Plaisirs

Autre changement, pour assurer une gestion plus serrée, les clients qui s’attablent à l’heure du dîner doivent s’en tenir strictement au menu midi. Auparavant, ils pouvaient en sortir et choisir un plat sur le menu général.

À l’Association Restauration Québec (ARQ), Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales, souligne que même les restaurants familiaux, réputés pour offrir des menus de plusieurs pages, ont dû faire l’exercice. Après vérifications, de grandes chaînes comme Pacini, St-Hubert, La Cage –Brasserie sportive et Normandin ont toutes été contraintes depuis la pandémie de retirer des articles de leurs cartes.

« Il y a un gros travail qui est fait pour arriver à un coût d’assiette qui soit cohérent avec les prix, sans trop augmenter la facture pour les clients », explique M. Vézina, qui ajoute dans la foulée qu’un menu plus restreint ne rend pas l’expérience moins intéressante.

Sur la Plaza Saint-Hubert, Jean-François Girard, propriétaire du Beaufort Bistro, doit lui aussi faire de nombreux numéros de jonglerie avec son menu parce que les pertes « font encore plus mal qu’avant ».

Je regarde ce qui est le moins populaire. J’ai enlevé le burger de bœuf. Les gens ont la possibilité d’en manger dans d’autres restos autour.

Jean-François Girard, propriétaire du Beaufort Bistro

Depuis jeudi, le restaurateur sert également des déjeuners. Il a toutefois dû revoir son offre. « J’avais prévu une quinzaine de plats, finalement, j’en ai cinq. Sinon, ça coûte trop cher. »

Des « cartes vivantes »

Ainsi, les menus sont passés au peigne fin comme jamais auparavant. Et la technologie qui consiste à télécharger un code QR avec son téléphone pour consulter l’offre de plats permet à bon nombre de restaurateurs de faire des changements rapides sans devoir réimprimer un menu en carton.

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Un peu partout, les menus accessibles par code QR rendent l’offre de plats plus flexible pour les restaurateurs.

« À une certaine époque, les menus, c’était plus des automatismes. On ajustait la carte deux fois par année, raconte Pierre Moreau. On mettait des plats estivaux. On les retirait à un certain moment. Maintenant, c’est une carte qui est vivante. Si, à un moment donné, le chef nous dit qu’il y a une pénurie de crevettes de Matane, on enlève la guedille de crevettes. »

Selon lui, les menus réduits qui s’ajustent au gré des approvisionnements peuvent être avantageux pour les clients qui ont une garantie de fraîcheur et qui se font servir des plats hautement maîtrisés en cuisine. « On s’assure de la fraîcheur du produit et on s’assure aussi d’une constance dans la qualité du produit. Quand ton cuisinier fait toujours les cinq, six, sept mêmes plats, à un moment donné, c’est comme un athlète, il devient très bon, il le maîtrise. »

Un mal nécessaire

Chez Pacini, Pierre-Marc Tremblay, propriétaire et président du conseil d’administration, ne le voit toutefois pas du même œil. De son propre aveu, ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il a pris la décision d’amputer son menu de 20 % de ses plats au début de la pandémie. « Je l’ai fait pour m’en sortir », confie-t-il.

Et tant que la main-d’œuvre ne sera pas de retour aux fourneaux, il devra se résigner à le laisser ainsi, mais insiste sur le fait que celui-ci ne sera pas réduit davantage.

M. Tremblay ne voit pas de plus-value à présenter des menus plus courts dans des chaînes comme Pacini. Quand les choses reviendront à la normale, les cartes des établissements du groupe reprendront le poids perdu, assure-t-il.

« Par comparaison aux gens qui fréquentent des petits restaurants indépendants, le client de chaîne, lui, s’attend à un menu plus complet, soutient-il. Le rôle du restaurateur, c’est de faire plaisir au client pour qu’il vive une belle expérience. Tu ne peux pas réduire le menu sous un prétexte de productivité. Tu peux t’aider un peu en enlevant des articles qui sont semblables. Mais dès que tu vas plus loin, c’est ton âme que tu perds. »

« Le client veut quelque chose de nouveau, il veut voir que l’on continue à développer, il veut sentir que l’on continue à s’occuper de lui, ajoute-t-il. Si on ne fait pas ça, on est en danger. »