Les deux transporteurs par rail au pays sont sermonnés par Ottawa, qui réclame que la barre soit redressée après un hiver marqué par des diminutions de service « inquiétantes ». Le gouvernement Trudeau lance aussi un avertissement à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) en estimant qu’elle priorise ses finances au détriment du service.

Ces reproches figurent dans deux missives distinctes signées par le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, et qui sont adressées aux dirigeants du CN et du Canadien Pacifique (CP). Elles ont été obtenues par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Dans l’ensemble, les critiques du ministre sont adressées aux deux entreprises. Toutefois, M. Alghabra est un peu plus cinglant à l’endroit de la plus importante compagnie ferroviaire au Canada, établie à Montréal.

« Je suis préoccupé par le fait que vous ayez pris la décision de sacrifier la performance du service en faveur de ratios d’exploitation et de décisions agressives de réduction des coûts, comme la mise à pied d’équipes, écrit-il au CN. Les expéditeurs, et l’économie canadienne en général, en ont souffert. »

Le ministre des Transports fait référence aux objectifs dévoilés par l’ancien président-directeur général du CN Jean-Jacques Ruest l’automne dernier. Sous pression d’un actionnaire militant, l’entreprise avait annoncé un régime minceur pour réduire ses dépenses, éliminer plus de 1000 emplois – dont 400 syndiqués (ingénieurs de voies et mécaniciens) – et potentiellement vendre des actifs jugés non essentiels.

Lisez « Sous pression, le CN présente un nouveau plan stratégique »

À la retraite, M. Ruest a été remplacé par Tracy Robinson. Celle-ci n’a pas encore indiqué de quelle façon elle comptait atteindre les objectifs présentés l’automne dernier.

Plus d’indicateurs

Visiblement préoccupé par les perturbations des derniers mois, M. Alghabra prévient le CN et le CP que des modifications au Règlement sur les renseignements relatifs au transport risquent d’entrer en vigueur. Cela obligerait les deux compagnies à transmettre davantage d’information aux autorités fédérales.

« Afin d’éclairer davantage les répercussions de la disponibilité des équipes, j’ai l’intention de recommander l’inclusion de nouvelles exigences pour les chemins de fer de marchandises de classe 1 afin qu’ils fassent rapport sur les niveaux des équipes par province », prévient-il.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Omar Alghabra, ministre fédéral des Transports

Impossible de savoir quand ces changements entreraient en vigueur. Le cabinet de M. Alghabra a indiqué, mercredi, que des consultations sur le règlement venaient de se terminer. Par courriel, le CN a rétorqué que « l’hiver dernier avait été l’un des plus difficiles jamais enregistré » et que les perturbations n’auraient pas pu être atténuées « de manière significative par l’existence d’équipes supplémentaires ».

« Contrairement à ce qui est affirmé dans la lettre, aucune réduction n’a été effectuée l’année dernière au niveau des équipes ou du personnel participant à l’exploitation de nos trains », a affirmé la compagnie.

De son côté, le CP dit avoir exprimé des préoccupations à Transports Canada concernant les changements proposés. Selon l’entreprise, « aucun ensemble de données ferroviaires » est en mesure de « refléter pleinement » les performances de « l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement ».

Ottawa manque de mordant, selon un expert

Pour Jacques Roy, professeur de gestion du transport à HEC Montréal, les missives de M. Alghabra ont « un peu de mordant, mais pas beaucoup de dents ». D’après l’expert, le gouvernement Trudeau, même s’il exprime son insatisfaction, ne laisse pas planer le spectre d’éventuels changements d’envergure.

Selon M. Roy, la « première étape » serait de contraindre le CN et le CP à diffuser publiquement les performances – les taux de ponctualité – de leurs trains.

Ça montre [les lettres] au moins qu’il y a une préoccupation du gouvernement. Demander les données sur les effectifs, cela devient une mesure de contrôle. C’est un message. Les compagnies ne seront pas contentes. C’est de la tracasserie interne pour elles.

Jacques Roy, professeur de gestion du transport à HEC Montréal

Les transporteurs ferroviaires peuvent difficilement échapper aux rigueurs hivernales. Les basses températures altèrent les systèmes de freinage pneumatique d’un train. Les transporteurs sont contraints d’utiliser des trains plus courts, à des vitesses plus lentes. Cela réduit souvent la capacité. Les deux grandes compagnies ferroviaires ont notamment évoqué le froid mordant hivernal pour expliquer les perturbations de services.

Toutefois, quatre ans après la Loi sur la modernisation des transports, qui a créé l’obligation pour le CN et le CP de publier annuellement des plans sur le transport de céréales pendant l’hiver, les progrès sont insuffisants, juge Ottawa.

« Le CN a signalé à plusieurs reprises des taux d’exécution des commandes de céréales inférieurs à 50 % malgré la récolte beaucoup plus faible de cette année », écrit le ministre.

M. Alghabra demande des « investissements » ainsi que des « changements opérationnels » nécessaires pour redresser la barre. Il n’évoque toutefois pas de conséquences potentielles si rien ne change.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

En savoir plus
  • 10 %
    De janvier à mars, les tonnes-milles commerciales – indicateur clé de l’industrie – du CN et du CP ont fléchi de 10 % par rapport au premier trimestre 2021.
    Source : Association des chemins de fer du Canada