Un importateur de vin reproche à la SAQ d’avoir agi au détriment des agents d’importation privée dans sa gestion des stocks, affectés par les restrictions liées à la COVID-19. L’entrepôt des importations privées de la société d’État, qui débordait à la fin du mois d’avril, est toujours dans une situation « critique ».

Plus tôt en mai, La Presse a révélé que des milliers de produits d’importation privée risquaient d’être saisis⁠1 le 18 juin parce qu’ils étaient stockés depuis trop longtemps dans les locaux de la Société des alcools du Québec (SAQ). La société d’État avait alors expliqué que la fermeture prolongée des restaurants et des bars était à l’origine de cette situation « exceptionnelle ».

Dans une infolettre du 17 mai, la SAQ indique que « malheureusement, le niveau des stocks demeure encore très élevé ».

Philip Morisset, fondateur de l’agence d’importation de vins Origines, accuse cependant la SAQ d’avoir donné la priorité à ses succursales, appliqué les délais d’entreposage à des moments inopportuns et multiplié le montant des pénalités pouvant être infligées aux importateurs privés.

La société d’État dément, nuance ou admet certaines de ces doléances par courriel. La directrice de la gestion de l’offre et de la mise en marché de la SAQ, Josée Dumas, a refusé les multiples demandes d’entrevue de La Presse sans donner de justification.

Selon M. Morisset, la SAQ aurait privilégié « le ramassage, le transport et le traitement à l’arrivée des produits destinés aux magasins au détriment des commandes privées, engendrant ainsi une beaucoup plus longue immobilisation pour les agents », et ce, dès l’été 2021.

« Les commandes sont traitées chronologiquement », indique la porte-parole Clémence Beaulieu Gendron. La SAQ dit accorder la priorité aux « conteneurs qui [lui] permettent de mettre en place les promotions prévues, d’éviter les ruptures de stock et d’envoyer aux succursales ou aux restaurants les produits » les plus demandés.

Explosion des délais de livraison

Pierre Birlichi, porte-parole du Raspipav, regroupement d’environ 50 agences d’importation privée, dont Origines, dit aussi que la société d’État a privilégié ses succursales, « notamment parce que les restaurants étaient fermés », ce qu’il juge « compréhensible ». « Une fois que les restaurants étaient ouverts, moi, j’ai plus entendu parler de priorisation », ajoute-t-il.

Les délais de livraison moyens sont toutefois passés de 4 à 5 semaines à entre 8 et 12 semaines en raison des « bouleversements de la chaîne d’approvisionnement », indique Mme Beaulieu Gendron.

MM. Birlichi et Morisset déplorent tous les deux ces délais supplémentaires, qui ont notamment eu pour effet de faire rater les « fenêtres de commercialisation » de certains produits, comme les Fêtes.

M. Morisset en veut également à la société d’État de ne pas avoir suspendu ses délais d’entreposage pendant la dernière fermeture des bars et des restaurants, l’hiver dernier. Elle avait arrêté les compteurs plus tôt pendant la pandémie afin d’aider les agents, qui avaient de la difficulté à vendre avec les vagues successives de fermetures.

« Les compteurs ont recommencé le 12 septembre 2020. Par contre, nous avons allongé le délai d’entreposage selon le nombre de semaines qu’ont duré les mesures sanitaires plus strictes observées dès les derniers jours de décembre 2021 et qui se sont prolongées au début de l’année 2022 », précise cependant la porte-parole.

Frais d’entreposage triplés

Les frais d’entreposage ont bel et bien connu une hausse fulgurante en septembre 2021, ce que dénonce vertement M. Morisset. « Les frais ont passé de 1,10 $ à 3,95 $ au 151jour et de 2,20 $ à 6,95 $ au 181jour », confirme Mme Beaulieu Gendron. Ceux-ci n’ont toutefois pas encore été facturés, ajoute-t-elle.

« Naturellement, en tant que porte-parole d’un regroupement d’importateurs, ça ne me fait pas plaisir », dit M. Birlichi. Mais il ne s’inquiète « pas trop » de l’impact de ces augmentations pour ses membres.

La société d’État n’a pas été en mesure de préciser, à temps pour la publication de ce texte, le nombre de caisses et de produits encore à risque d’être saisis le 18 juin. Au début du mois de mai, 27 000 caisses étaient en voie d’atteindre le délai maximal de 210 jours d’entreposage — en tenant compte des suspensions de délais – à cette date.

La situation d’entreposage « sera réévaluée au courant de l’été », indique la SAQ dans son infolettre du 17 mai. « Dans l’éventualité où celle-ci serait toujours critique, d’autres mesures pourraient être mises en place. »

1. Lisez « Des milliers de produits d’importation privée bientôt saisis ? »