Garry Ridge, qui dirige l’entreprise chimique WD-40, a un style de leadership guidé par deux modèles – Aristote et le PDG de BlackRock, Larry Fink.

« Le plaisir dans le travail met la perfection dans le travail », a d’abord dit Ridge en citant le philosophe grec.

Puis il a repris une récente note interne de BlackRock. « Les entreprises qui ont tissé des liens solides avec leurs employés ont connu des niveaux de rotation plus faibles et des rendements plus élevés tout au long de la pandémie », a lu Ridge à haute voix.

Il a ponctué cette lecture de son propre commentaire : « Eh bien, duh ! »

Le WD-40, qui se présente sous la forme d’un bidon bleu et jaune vif que de nombreux foyers dont les portes grincent connaissent bien, est un produit de nettoyage dont la formule secrète permet de desserrer un boulon rouillé, d’effacer une marque de crayon sur un mur, d’enlever les taches d’insectes sur une voiture ou la rouille sur une chaîne de vélo. M. Ridge aime rappeler aux quelque 600 employés répartis dans ses 17 bureaux l’utilité de leur travail.

PHOTO ARIANA DREHSLER, THE NEW YORK TIMES

Garry Ridge (à droite), dirigeant de WD-40, et Jeff Lindeman, qui travaille aux ressources humaines de l’entreprise

Mais il pense aussi que certains sont portés par la culture peu orthodoxe de l’entreprise. WD-40 n’a pas de supérieurs, seulement des coachs. Les travailleurs peuvent recevoir des prix « Mère Teresa » pour avoir fait partager leur « temps, leurs talents et leurs trésors » à la communauté. Ils peuvent rappeler à leurs collègues, lors de réunions, de créer ensemble des « souvenirs positifs et durables ».

Bien avant la pandémie, beaucoup étaient sceptiques à l’égard des entreprises qui se présentaient comme ayant pour mission de rendre les travailleurs heureux. Il y avait les entreprises technologiques dont les bureaux de style campus universitaire avaient des fosses à balles et des toboggans. Il y a eu les bureaux avec des buffets de déjeuner et du rosé glacé. Il y a eu le nombre croissant d’employeurs qui évaluaient le bonheur de leur personnel à l’aide d’enquêtes, et qui faisaient souvent appel à des consultants pour créer un lieu de divertissement.

Pour certains, la recherche du bonheur au travail – et son prix, comme un programme de 18 000 $ pour les supérieurs sur la façon de diriger des équipes heureuses – peut ressembler à une alchimie d’entreprise qui tente de transformer les sentiments en productivité. Cela peut ressembler à une incitation à sourire et à mettre de côté les demandes qui conviennent moins aux patrons, comme le travail à distance ou un salaire plus élevé.

Ces critiques ont pris une nouvelle dimension alors que les travailleurs et les employeurs s’affrontent sur les plans de retour au travail, dans un marché du travail que les économistes continuent de qualifier de tendu. Certains travailleurs disent qu’ils préfèrent la flexibilité ou des augmentations ajustées à l’inflation à des carottes d’entreprise comme un concert de Lizzo pour les employés de Google et des dégustations de bière chez Microsoft.

C’est « je ne vais pas vous aider à solidifier votre emploi du temps à l’avance d’une manière qui vous aidera, mais voici un code de réduction », a déclaré Jessica Martinez, 46 ans, responsable de programme dans une fondation mondiale qui organise depuis longtemps des « mercredis du vin » et distribue maintenant des cadeaux de retour au bureau, comme des bouteilles d’eau.

« Les gens essaient de tout ramener à la ‟normale”, mais la vérité est que la normale était terrible pour certaines personnes », a-t-elle ajouté. « Pourquoi ne pas donner aux gens ce qu’ils veulent vraiment ? »

Dans certains lieux de travail, le « bonheur » peut signifier laisser les employés choisir leurs propres superviseurs. Cela peut signifier se débarrasser des évaluations de performance. Cela signifie aussi généralement qu’il faut mesurer les niveaux de bonheur, même si tout le monde n’est pas d’accord sur ce que signifie le bonheur. Voir le dalaï-lama, Dale Carnegie et Barbara Ehrenreich pour commencer.

Justifié

Ces dernières années, des économistes et des psychologues comportementaux ont fait voir aux employeurs que leur fixation sur la positivité était justifiée d’un point de vue économique. Une étude publiée dans le Journal of Labor Economics a révélé que les personnes à qui l’on donnait du chocolat à manger et des comédies à regarder – des générateurs de bonheur courants – étaient 12 % plus productives qu’un groupe laissé à lui-même. Une autre étude parue dans le Journal of Financial Economics a montré que les entreprises figurant sur la liste des 100 meilleurs lieux de travail ont un rendement pour les actionnaires supérieur à celui de leurs homologues.

« Il est prouvé que nous nous trompons dans la flèche causale du bonheur », a déclaré Laurie Santos, spécialiste des sciences cognitives qui donne le cours populaire de Yale sur le bonheur. « On se dit : ‟Je me sens productif au travail, les choses se passent bien au travail et je suis donc heureux.” Mais les preuves semblent suggérer que l’autre flèche existe aussi, que le bonheur peut vraiment influer sur vos performances professionnelles. »

La notion selon laquelle les entreprises devraient se soucier du bonheur est apparue avec l’augmentation des emplois non manuels, a déclaré Alex Edmans, professeur de finance à la London Business School. Le rendement du travail étant devenu plus difficile à mesurer – il s’agit désormais de la qualité et de la quantité d’idées, et non plus du nombre d’épingles fabriquées ou de bouchons vissés sur des tubes de dentifrice –, les supérieurs ont décidé qu’ils devaient veiller à ce que leurs employés se sentent motivés. La rémunération est importante, mais la façon dont les gens se sentent au travail l’est tout autant.

Mais beaucoup voient un risque pour les travailleurs qui croient que leurs employeurs cultivent une relation émotionnelle avec eux, alors qu’en réalité, la relation est une question d’argent.

« Votre patron n’est pas là pour vous apporter le bonheur », a déclaré Sarah Jaffe, auteure de Work Won’t Love You Back. « Peu importe à quel point ils disent se concentrer sur le bonheur, ils se concentrent sur les profits. »

« Quelqu’un est payé pour apporter cette nouvelle culture excitante du bonheur au travail, a ajouté Sarah Jaffe. Je voudrais savoir combien mon patron dépense. »

La flexibilité du travail à domicile a rendu certains travailleurs plus à l’aise de dire aux employeurs ce qui les rend réellement heureux – la liberté de passer du temps avec leur famille et non des dîners gratuits au bureau.

« Avoir des céréales dans la salle de repos ne compense pas le fait de ne pas pouvoir aller chercher ses enfants », a déclaré Anna King, 60 ans, qui travaille dans une entreprise de services publics d’énergie à Portland, en Oregon. « Les vraies préoccupations sont les suivantes : vos employés ont-ils le sentiment de faire partie de l’équipe, non pas parce qu’ils jouent au ping-pong ensemble, mais parce qu’ils atteignent de vrais objectifs et travaillent à des heures décentes ? »

Alors que des millions de travailleurs font des demandes audacieuses à leurs employeurs, notamment en matière de flexibilité permanente, certains disent que l’accent mis sur le bonheur est une distraction. Les prix « Mère Teresa », après tout, n’améliorent pas les conditions de travail – et peuvent en fait encourager les travailleurs à consacrer plus d’heures à leur communauté d’entreprise au détriment de leur vie personnelle.

« Je ne pense pas que ces choses comme la méditation ou tout ce que les employeurs peuvent faire pour améliorer le bien-être soient de mauvaises initiatives », affirme toutefois Heidi Shierholz, présidente de l’Economic Policy Institute, un groupe de réflexion progressiste. « Mais elles ne remplacent pas des salaires décents, des avantages sociaux décents, des horaires sains. »

Cet article a été initialement publié dans The New York Times.

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