Malgré les 2 milliards de fonds publics promis par Québec et Ottawa, Télésat cherche toujours de l’argent pour finaliser le montage financier de sa constellation de satellites de télécommunication. Cela ne l’a pas empêchée de verser une prime de 6 millions à son patron l’an dernier uniquement pour avoir amené l’entreprise en Bourse.

L’aventure de Télésat sur les marchés pourrait également s’avérer extrêmement payante pour son président et chef de la direction, Daniel Goldberg. Aux commandes depuis 2008, celui-ci a eu droit à l’équivalent de 53 millions en attribution sur des actions en 2021. En tenant compte de son salaire de base d’environ 1,4 million, d’une prime annuelle de 2,7 millions et d’autres avantages, la paie totale du gestionnaire s’est chiffrée à 64 millions.

Ces informations se trouvent dans le document envoyé aux actionnaires de la société en vue de l’assemblée annuelle du 1er juin. Prévue au contrat de M. Goldberg, la prime spéciale de 6 millions peut soulever des questions compte tenu de l’implication de deux ordres de gouvernement dans ses projets.

« On a de la difficulté à répondre non à cette question », dit François Dauphin, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), lorsqu’on lui demande si le paiement offert à M. Goldberg était trop généreux. « C’est élevé au premier abord. La réussite des projets de Télésat dépend toutefois de la capacité à récolter de l’argent sur les marchés. »

Les promesses de l’entreprise d’Ottawa – qui doivent en principe générer d’importantes retombées au Québec – se font toujours attendre. Elle cherche 2,5 milliards pour boucler le financement de sa constellation Lightspeed – un projet de 6,5 milliards qui prend du retard. Télésat veut déployer des satellites en orbite basse à plus de 1000 km au-dessus de la Terre pour, entre autres, offrir l’accès à l’internet haute vitesse dans des régions éloignées. En raison de l’explosion des coûts, la constellation de 298 satellites sera finalement réduite à 188 unités.

Conforme, dit l’entreprise

Télésat ne voit pas de problème aux sommes consenties à son grand patron. Sa porte-parole, Lynette Simmons, affirme que les émoluments de M. Goldberg sont « conformes aux pratiques du marché ». Au cours actuel des actions de l’entreprise à la Bourse de Toronto (17 $), la valeur des attributions de M. Goldberg a fondu à 12 millions, ajoute-t-elle. Au moment d’arriver sur le parquet de Bay Street, en novembre dernier, le titre valait environ 49,80 $.

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉSAT

Daniel Goldberg est président et chef de la direction de Télésat.

« Aucun financement gouvernemental ne sera utilisé pour rémunérer les dirigeants et Télésat doit rembourser tous les prêts avec intérêts, ce qui génère des rendements pour les gouvernements », affirme Mme Simmons.

Le gouvernement Legault avait promis 400 millions tandis que l’engagement du gouvernement Trudeau est d’environ 1,5 milliard. Dans les deux cas, le soutien financier est offert par le truchement de prêts et d’investissements en actions privilégiées. Ensemble, les deux ordres de gouvernement proposent de financer 28 % de la constellation. L’argent n’a toutefois pas encore été versé. Les paiements sont conditionnels à la finalisation du montage financier.

« C’est une bonne pratique, lorsque les gouvernements fournissent une aide, d’avoir des plafonds sur la rémunération des dirigeants, observe Richard Leblanc, spécialiste de gouvernance à l’Université York de Toronto. Je ne peux pas dire s’il y avait un plafond, mais le montant de 64 millions paraît élevé à première vue. »

Interrogés par La Presse, Ottawa et Québec se sont montrés prudents dans leurs commentaires en soulignant ne pas avoir encore versé l’argent promis à Télésat.

« Tout investissement dans ce projet […] comprend une exigence selon laquelle toute rémunération des dirigeants sera conforme aux conditions raisonnables du marché de l’industrie », s’est limité à dire le ministère fédéral de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, dans un courriel.

À Québec, le ministère de l’Économie et de l’Innovation a renvoyé les questions au conseil d’administration de Télésat en affirmant que c’était aux administrateurs de « baliser » les salaires de la haute direction.

La société ontarienne espère trouver les 2,5 milliards manquants auprès d’Exportation et développement Canada et de Bpifrance. On ignore si les deux agences accepteront de participer au projet. Si l’entreprise trouve les fonds nécessaires, elle s’engage à créer 300 emplois à Gatineau. Sa sous-traitante MDA, retenue pour assembler les antennes des satellites, embauchera 280 personnes à Sainte-Anne-de-Bellevue.

En savoir plus
  • 1,8 milliard
    C’est la somme des investissements prévus au Québec dans le cadre du projet Lightspeed.
    SOURCE : gouvernement du québec