Partir pour mieux revenir. On ne parle pas ici de cœurs encore amoureux ni d’un film de Claude Lelouch, mais d’employés qui reviennent au bercail professionnel, tels des boomerangs.

Le phénomène est en légère hausse aux États-Unis, nourri par celui de la Grande Démission, qui a vu des millions de travailleurs américains quitter leur emploi depuis le début de la pandémie. Le Wall Street Journal rapportait, il y a quatre mois, que 4,5 % des embauches en 2021 étaient des personnes revenant sur leurs pas, dans leur ancienne organisation. C’était 3,9 % en 2019.

Au Québec ? « C’est dans l’air du temps, car le marché est aux candidats, selon Isabelle Bédard, PDG de CIB Développement organisationnel. Mais il est très tôt pour établir une tendance. La pénurie de main-d’œuvre permet néanmoins d’imaginer un jardin plus vert ailleurs et de s’offrir le luxe d’aller vérifier. »

Au figuré... mais au propre également, comme ce fut le cas pour Julie Day-Lebel, conceptrice-rédactrice de l’agence de publicité Rethink. En février 2021, elle a quitté Montréal pour emménager à quelques foulées du parc de la Mauricie, dans le Centre-du-Québec. « Comme beaucoup de gens, j’ai eu une écœurantite de la ville pendant la pandémie, dit-elle. Au bureau, ce n’était pas clair si on reviendrait en présentiel ou en télétravail. Rethink aime le travail d’équipe. »

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Julie Day-Lebel, conceptrice-rédactrice de l’agence Rethink

L’appel du calme à une heure et demie de la clameur et de la densité de Montréal, avec un loyer de 480 $ pour un cinq et demie, a sonné. « Ce ne fut pas compliqué de trouver un autre emploi dans une PME en région », dit la créatrice de 30 ans.

Rapidement, cependant, Julie Day-Lebel a déchanté, la façon de fonctionner dans son nouveau lieu de travail divergeant d’avec la sienne. Après une autre expérience de six mois en tant que pigiste, qu’elle a trouvée éprouvante, et un déménagement à Québec entre-temps, Rethink lui a redonné signe de vie. « Je pensais à l’agence encore », avoue celle qui y est revenue (à distance, de Québec) un an plus tard, à la demande de sa directrice de création. « Plein de choses me convenaient : les gens, l’ambiance de travail, la façon de fonctionner... »

Employée boomerang également, Catherine Whitehead, conseillère en développement organisationnel, est retournée chez BonBoss, en mars, après une absence de sept mois.

Je voulais explorer. Une amie m’a appelée pour un autre emploi avec un salaire plus élevé. J’avais des dettes étudiantes, je déménageais et ça allait me coûter plus cher. Mais le travail ne fut pas satisfaisant pour moi.

Catherine Whitehead, conseillère en développement organisationnel

Catherine Whitehead est devenue nostalgique dès son départ de BonBoss. « Car je me suis toujours sentie respectée à cet endroit », résume-t-elle. On dira que lorsqu’on se nomme BonBoss, les dirigeants doivent être impeccables dans leurs relations avec leurs employés ! « On m’a écrit quelquefois pour savoir comment j’allais, si j’aimais mon nouvel emploi. On a respecté sincèrement ma décision. »

Les semaines s’égrenant, elle s’est rendu compte qu’un salaire plus élevé n’était qu’un mirage et non un gage de bonheur, dans son cas. « Ce n’est pas la chose la plus importante, même s’il faut un salaire adéquat pour vivre, estime-t-elle. On passe beaucoup trop de temps au travail pour que ce soit la seule chose qui compte. Les tâches à accomplir doivent être pertinentes à notre développement. »

Plusieurs avantages

Mieux vaut avoir une attitude positive quand un employé annonce son départ, car il pourra toujours redevenir un candidat tout désigné pour l’organisation. « Quand ça arrive, le réflexe est de dire : “Tu avais juste à te brancher !” », lance Céline Morellon, directrice des ressources humaines et de la transformation organisationnelle de la Société du parc Jean-Drapeau et présidente de Leaders de valeur.

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Céline Morellon, directrice des ressources humaines et de la transformation organisationnelle de la Société du parc Jean-Drapeau et présidente de Leaders de valeur

« Il y a des politiques de non-réembauche à certaines places, mais il y a des avantages à avoir un employé qui revient. »

Temps de recrutement raccourci, intégration accélérée, employé conscient qu’on lui a donné une nouvelle chance, connaissance des conditions dans lesquelles il revient, courbe d’apprentissage plus rapide... « Même pour ceux réembauchés à un autre poste », précise Céline Morellon.

« C’est avantageux pour l’employeur de récupérer l’expertise d’ailleurs », ajoute Isabelle Bédard.

Les salariés peuvent aussi y trouver leur compte. « Il y a une aisance à s’exprimer, à demander des conditions. C’est plus agréable d’arriver et de connaître les gens. Ça enlève de la pression, énumère Julie Day-Lebel. C’est comme remettre des pantoufles confortables. »

« Ça simplifie la vie de tous, poursuit Catherine Whitehead. Je connais les équipes, les procédures. Alors que l’accueil, l’intégration et la compréhension du système en place sont souvent des poids pour tout le monde. »

La clé est de vivre le départ de façon civilisée, d’un côté comme de l’autre. « On a organisé un dîner d’équipe et offert un cadeau à mon départ, se remémore Catherine Whitehead. Et j’avais fait tout ce qu’il fallait pour faciliter le travail des gens après mon départ. »

Pas le choix

Cela dit, la pénurie de main-d’œuvre est si lourde sur les épaules des organisations qu’on suggérerait de reprendre un employé malheureux ou qu’on a mis à la porte. « On en est là, confirme Isabelle Bédard. Même si ça ne te tente pas, même si tu t’attends à ce qu’il parte encore, tu n’as pas le choix, car tu perds des clients, par exemple. Ce phénomène va s’accentuer. »

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Isabelle Bédard, PDG de CIB Développement organisationnel

Dans le contexte actuel, un employé qui revient, même nettement imparfait, c’est bon. Mais le prix à payer est élevé en matière d’encadrement et de formation.

Isabelle Bédard, PDG de CIB Développement organisationnel

Et de salaire. « L’employé [boomerang] tente de négocier à la hausse, constate Céline Morellon. Ça marche ou pas, car on pense à l’équité salariale et relationnelle à l’interne. Il faut faire attention au salaire et aux conditions accordés. On ne peut faire revenir quelqu’un en roi, car les autres ont été fidèles ! Et la fidélité vaut quelque chose. Les gestionnaires doivent se garder une gêne. »

Julie Day-Lebel et Catherine Whitehead ont négocié des conditions à leur retour. « Rethink savait à quoi s’attendre avec moi, explique la première. Ça me laissait un angle de négociation. Je voulais quelque chose qui me convenait. Le salaire n’est pas tout. Je suis allée chercher des conditions que je n’avais pas ailleurs. »

« Travailler chez moi était important et BonBoss est très flexible sur les horaires et la présence au bureau, indique Catherine Whitehead, qui porte maintenant un autre titre. Le salaire a augmenté en plus, et pas à ma demande. J’ai développé des compétences chez mon autre employeur, donc ça avait du sens. »

Pour bien se préparer à de telles situations, les spécialistes interviewées conseillent de faire des entrevues de départ. « Ce qu’on fait peu présentement, constate Isabelle Bédard. Il faut amener l’employé à s’ouvrir sur son taux de satisfaction au travail. »

Des clauses de rétention dans les contrats deviennent pertinentes également. « Comme une prime à part que tu n’auras pas si tu pars avant deux ans, explique aussi Céline Morellon. Il faut que ce soit gagnant-gagnant-gagnant : pour l’entreprise, l’équipe et l’employé. On met ça de plus en plus dans les contrats, car de plus en plus d’employés s’en vont ailleurs. »

À cause de la génération Z dont les membres butinent plus que leurs parents ? « Pas forcément, mais je le vois pour les postes de base, répond Céline Morellon. Le fait d’avoir le choix fait qu’on utilise le contexte actuel comme une occasion. »

« La pénurie crée des opportunités pour tous les travailleurs, ajoute Isabelle Bédard. Mais ça dépend aussi des responsabilités familiales. C’est une question de marge de manœuvre dans bien des cas. Je pense aux mères monoparentales qui n’ont pas le luxe de partir ou au jeune de 23 ans sans enfants qui peut s’envoler pour un tour du monde sans se poser de questions, puis revenir. » Car l’aventure, c’est l’aventure… cette fois comme le titre d’un film de Lelouch !