C’est le privé qui sera aux commandes du futur train à grande fréquence (TGF) et qui décidera du prix à payer pour monter à bord ainsi que des horaires. Ce projet milliardaire risque également d’engendrer des bouleversements chez les employés de VIA Rail au cours de la prochaine décennie.

Si le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, s’était montré avare de détails en invitant le privé à faire partie de l’aventure, le 9 mars dernier, à Montréal, le gouvernement Trudeau a depuis levé le voile sur ses intentions dans un document d’environ 75 pages mis en ligne. Celui-ci n’était pas disponible au moment de l’annonce faite par M. Alghabra.

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Omar Alghabra, ministre des Transports du Canada, lors d’une conférence de presse à Montréal, le 9 mars dernier

C’est au milieu de cette sollicitation d’intérêt que l’on détaille comment l’apport du privé ira plus loin que la conception. C’est à un « partenaire » qu’incombera la responsabilité d’exploiter les trains de VIA Rail qui circuleront sur le couloir réservé entre Québec et Toronto – un modèle de plus en plus répandu dans le monde – quand le TGF entrera en service, au début de la prochaine décennie.

« C’est un autre beau cas de sortie d’une boîte de Cracker Jack », affirme l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau.

Le document indique clairement que c’est la seule option. Ça me surprend. Nous sommes placés devant le fait accompli.

Pierre Barrieau, expert en planification des transports

L’expert n’a rien contre un partenariat avec l’entreprise privée, mais s’étonne de l’absence de débat dans l’espace public. Il s’agit d’un « changement fondamental » qui soulève beaucoup de questions à l’égard de l’avenir de VIA Rail, qui accumule les pertes d’exploitation et qui est soutenue financièrement par le gouvernement fédéral.

Jeudi après-midi, Transports Canada et les représentants du ministre Alghabra n’avaient pas répondu aux questions de La Presse.

Selon le document, tous les services de VIA Rail du couloir Québec-Toronto passeront dans le giron du « partenaire privé », qui s’occupera de la perception des revenus. Il aura son mot à dire sur tout ce qui entoure le couloir le plus achalandé de la société d’État. Des balises, qui ne sont pas précisées, devront être respectées pour les tarifs, les horaires et les autres aspects du service.

« Toute la terminologie est très vague, convient Mark Purdon, titulaire de la Chaire sur la décarbonisation de l’UQAM et spécialiste de la planification des transports. Mais on parle d’un nouveau modèle. Je serais surpris que le gouvernement fédéral ne soit pas impliqué dans cette compagnie. »

Et les employés ?

Le sort qui attend les employés de VIA Rail travaillant sur le couloir Québec-Toronto est flou. Le document d’Ottawa se limite à dire que l’on souhaite « réduire les répercussions pour les employés ». Selon son plus récent rapport annuel, la société d’État comptait quelque 2800 travailleurs à temps plein.

« Est-ce que VIA Rail va profiter de cette privatisation pour congédier des travailleurs ou les transférer à l’entreprise privée qui, elle, va améliorer l’efficacité ? se demande M. Barrieau. Il y a énormément de personnel et il y a une modernisation des activités à faire. »

S’il était un salarié de la société d’État, M. Purdon affirme qu’il aurait des « soucis ». Si le TGF répond aux attentes et que la fréquentation est en hausse sur le couloir, peut-être qu’il y aura plus de prévisibilité, selon l’expert.

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Le plan d’Ottawa constitue un stratagème pour privatiser l’ensemble du couloir Québec-Toronto, selon Unifor.

Selon Unifor, qui représente 2000 salariés de VIA Rail, le plan d’Ottawa constitue un stratagème pour privatiser l’ensemble du couloir Québec-Toronto par l’entremise d’un processus opaque, déplore Olivier Carrière, adjoint au directeur québécois du syndicat. Avec peu de détails disponibles, il s’inquiète pour ses membres.

C’est le début de la fin. On prend la vache à lait pour la donner au privé. Les bénéfices vont aller dans les proches des investisseurs, pas dans les coffres de l’État.

Olivier Carrière, adjoint au directeur québécois du syndicat Unifor

Plusieurs questions

Après avoir évoqué un budget de 6 à 12 milliards pour le TGF l’été dernier, M. Alghabra a affirmé qu’il n’aurait pas dû s’avancer. La facture risque donc d’être plus élevée, mais le ministre ne veut plus évoquer de chiffres.

Les trains circuleraient sur des voies ferrées réservées, ce qui n’est pas le cas actuellement. Ils rouleraient plus rapidement, jusqu’à 200 km/h, ce qui devrait engendrer des gains sur tous les trajets. Montréal-Québec se ferait en 2 h 55 min ou 3 h, plutôt que 3 h 24 min à l’heure actuelle.

CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE DE VIA RAIL

Réseau prévu du train à grande fréquence de VIA Rail

Si le couloir Québec-Toronto est confié à une entité dans laquelle le privé est présent, M. Barrieau se demande comment se fera l’harmonisation avec les trajets interurbains de VIA Rail.

« Aux gares de Montréal et de Toronto, on aura des trains qui vont être exploités par VIA Rail et d’autres par cette compagnie privée, dit-il. Comment va-t-on faire la gestion des billets, des quais et des valises ? »

VIA Rail n’a pas commenté le scénario évoqué dans le document du gouvernement Trudeau. Dans un courriel, elle s’est limitée à affirmer qu’elle jouerait un « rôle essentiel tout au long du projet », sans offrir plus de détails.

VIA Rail en quelques mots

La compagnie n’effectue que du transport de personnes au Canada. Il s’agit d’une société de la Couronne, qui est donc contrôlée par le gouvernement canadien. Son siège social est situé à Montréal. Les origines de VIA Rail remontent aux années 1970, quand le transport de passagers n’intéressait plus des compagnies comme le Canadien National et le Canadien Pacifique. C’est de cette façon que VIA Rail a obtenu son certificat de constitution. Si la société peut transporter des passagers d’un océan à l’autre, elle se heurte toutefois à un obstacle majeur : la quasi-totalité des voies ferroviaires sur lesquelles circulent ses trains appartiennent à des compagnies comme le CN et le CP, qui ont priorité. Cela affecte la ponctualité de VIA Rail.

En savoir plus
  • 65 milliards
    Un train à grande vitesse, qui peut atteindre 300 km/h, aurait pu coûter 65 milliards, selon Ottawa. Cela explique le choix du TGF, qui devrait coûter beaucoup moins cher.
    SOURCE : GOUVERNEMENT DU CANADA
    2025
    La construction du TGF devrait commencer vers le milieu de la décennie.
    SOURCE : GOUVERNEMENT DU CANADA