Depuis que Vladimir Poutine a déclaré la guerre à l’Ukraine, quelque 200 marques et entreprises ont pris leurs distances d’une façon ou d’une autre de la Russie. Dernières de taille en lice : McDonald’s, Starbucks, Pepsi et Coca-Cola.

Le 24 février dernier, BP a pris une décision à 25 milliards : retirer ses billes dans la pétrolière russe Rosneft. Depuis, bien d’autres entreprises et marques ont déclaré cesser, suspendre, totalement ou partiellement, leurs activités au pays de Poutine. Grandes et moins grandes : IKEA, Mastercard, Visa, American Express, Shell, Ferrari, Adidas, Heineken…

Mercredi encore, McDonald’s, Pepsi, Cola-Cola et Starbucks annonçaient leur avoir emboîté le pas… deux semaines après le début du conflit. « C’est un immense défi pour les entreprises d’envergure mondiale comme ces dernières, explique Stéphane Mailhiot, coprésident de l’agence de publicité Havas Montréal. Des gens souffrent des deux côtés de la frontière. »

Les entreprises se retirent pour diverses raisons : responsabilité sociale, implications sur le terrain, image, notamment. « On quitte à cause de la pression tant des actionnaires que des consommateurs », précise aussi Myriam Brouard, professeure de marketing à l’Université d’Ottawa.

PHOTO KARÈNE JEAN-BAPTISTE, FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ D’OTTAWA

Myriam Brouard, professeure en marketing de l’Université d’Ottawa.

Ces marques ont des caractéristiques humaines et on humanise les marques. C’est donc normal, dans une situation comme la guerre, de prendre position. C’est anormal d’être silencieuse.

Myriam Brouard, professeure de marketing à l’Université d’Ottawa

Atténuer les liens avec la Russie serait donc plus facile pour de jeunes ou moins grandes entreprises. « Les marques mondiales essaient de ne pas avoir d’appartenance à un pays, dit Stéphane Mailhiot. Mais un IKEA, qui est suédoise et le rappelle tout le temps, devait sortir plus vite. Surtout que la Suède a choisi son camp. Des McDo, Pepsi et Coca-Cola sont plus considérées comme des marques mondiales qu’américaines. »

Couper les liens peut aussi faire perdre leur emploi à des milliers de personnes et des revenus importants. McDo réalise 9 % de son chiffre d’affaires en Russie.

D’ailleurs, la chaîne de restauration rapide continuera de payer ses 62 000 employés pendant la fermeture « provisoire » de ses 850 enseignes au pays. « Priver de salaires pendant des mois des employés, c’est peu accepté, note Jean-Jacques Stréliski, professeur associé de gestion en communication-marketing et marque à HEC Montréal. Le choix n’est pas de priver la population mais le pays de revenus. Les activités vont reprendre pour McDo. »

IKEA compte 15 000 employés dans 17 magasins et trois sites de production en Russie et en Biélorussie. Heineken a 1800 salariés. Starbucks a 130 adresses en Russie. Et Adidas estime déjà ses pertes en euros à 250 millions. « Des réseaux mondiaux d’agences de publicité comme WPP, qui a 1400 employés en Russie, ont décidé qu’ils fermaient, raconte Stéphane Mailhiot. Le pays ne représente que 4 % des revenus de WPP. Mais plein de gens perdent leur emploi. Clairement des gens qui ne sont pas au front. Où trace-t-on la ligne ? »

C’est ainsi que même quand on clame couper les ponts, il reste certaines activités, comme la production. « Pour certains, il va de soi de faire de telles déclarations, car elles ont déjà des problèmes de logistique et d’approvisionnement », dit Myriam Brouard.

Et les marques qui hésitent ?

D’autres marques n’ont pas encore déserté la Russie, deux semaines après le déclenchement des hostilités. Des Burger King, PFK et Pizza Hut « continuent de réfléchir », a dit mercredi matin sur les ondes d’ICI Première de Radio-Canada le professeur agrégé de l’Université d’Ottawa Luc Dupont. « Les entreprises partent, mais pas tout à fait. Certaines continuent de produire. »

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

McDonald’s a décidé mardi de fermer temporairement ses 850 restaurants en Russie.

Il a fallu 15 ans à McDo pour s’implanter en territoire russe. Mieux vaut rester en bons termes.

Myriam Brouard

Mardi, le journal Le Figaro citait les cas du transformateur de légumes français Bonduelle et de L’Oréal qui n’ont pas fermé leurs usines pour « assurer l’alimentation de ses populations locales », dans le cas du premier, et pour ne pas « pénaliser [ses] milliers de salariés russes et leur famille, qui n’ont rien à voir avec les autorités russes », dans le cas de L’Oréal.

Sera-t-il trop tard sur le plan de l’image pour les marques qui ne se sont pas encore publiquement positionnées contre les desseins du président russe ? Myriam Brouard le croit. « On va percevoir les premières plus braves, estime-t-elle. Comme BP avec sa décision à 25 milliards de dollars. C’est majeur. »