(Montréal) Le refus d’Ottawa d’acquiescer au rachat complet des licences de services sans fil de Shaw Communications par Rogers Communications est une bonne nouvelle pour deux sociétés québécoises : Québecor et Cogeco.

Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a dit jeudi qu’un rachat complet serait « fondamentalement incompatible » avec les politiques du gouvernement Trudeau.

Cette déclaration du ministre ouvre la voie à la vente d’une partie des licences de services sans fil à un autre opérateur, estime Adam Shine, de la Financière Banque Nationale. « Il est très probable que Rogers ait entamé des démarches parallèles pour discuter avec les parties intéressées par les activités sans fil de Shaw », croit l’analyste financier.

Rogers et Shaw ont d’ailleurs indiqué qu’elles continueraient à travailler avec les autorités réglementaires afin de conclure la transaction de 26 milliards.

Les discussions pourraient aboutir rapidement, juge M. Shine. « Nous pensons que ces efforts vont s’accélérer, car tout acheteur potentiel devra obtenir le feu vert du gouvernent rapidement pour conclure la transaction au moment désiré, soit d’ici juin. »

Deux acheteurs québécois potentiels

Deux sociétés québécoises, Québecor et Cogeco Communications, avaient séparément ouvert la porte à une possible acquisition des actifs de Shaw, mais disaient toutes deux avoir besoin d’en savoir davantage sur le contexte réglementaire.

À plus d’une reprise, le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, a dit que la société mère de Vidéotron songeait à prendre de l’expansion dans les autres provinces. En novembre, le dirigeant soulignait que le marché du Québec était maintenant « assez mature » et qu’il croyait que le reste du Canada, où la concurrence est moins forte, offrait des occasions d’affaires lucratives.

En 2021, la société montréalaise a acquis 294 blocs du spectre de la bande de 3500 MHz, pour un montant de 830 millions. Plus de la moitié de cet investissement se concentre dans quatre provinces canadiennes : l’Ontario, le Manitoba, l’Alberta et la Colombie-Britannique.

L’intérêt de Québecor pour les actifs de Shaw ne fait pas de doute, croit Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’internet et du commerce électronique de l’Université d’Ottawa. « Je crois qu’il est clair que Québecor anticipait la position du gouvernement et s’est préparée à faire une offre. Ça ferait de l’entreprise un acteur national plus fort. »

Le câblodistributeur montréalais Cogeco Communications envisage, pour sa part, d’entrer dans le marché de la téléphonie sans fil. La société montréalaise attend toujours de connaître les conditions réglementaires qui lui permettraient de louer un accès au réseau des grandes sociétés de télécommunication canadiennes.

En janvier, son président et chef de la direction, Philippe Jetté, n’avait pas exclu de faire une offre pour les licences de Shaw si cela devenait possible. « On considère toutes les options sur la table, mais celle qui est suggérée, elle n’est simplement pas disponible. On est patients. On va attendre de voir ce qui se passe. »

L’action de Québecor gagnait, à la fermeture de la Bourse de Toronto vendredi, 65 cents, ou 2,39 %, à 27,84 $. Le titre de Cogeco Communications s’appréciait de 1,16 $, ou 1,15 %, à 101,90 $.

Une question de concurrence

L’offre d’achat de Rogers, annoncée en 2021, est examinée par trois organismes de réglementation fédéraux. Parmi eux, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et le Bureau de la concurrence sont deux organismes fédéraux qui fonctionnent, en grande partie, indépendamment du gouvernement.

Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE) est le troisième organisme. Son ministre responsable, François Champagne, a opposé jeudi une fin de non-recevoir à la transaction dans sa forme actuelle.

Le transfert complet des licences de services sans fil de Shaw à Rogers serait fondamentalement incompatible avec les politiques de notre gouvernement en ce qui concerne le spectre et la concurrence dans les services mobiles. Je ne l’autoriserai tout simplement pas.

Extrait d’un communiqué de François Champagne, ministre d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada

Même si la déclaration semble forte, Jeff Fan, de la Banque Scotia, dit ne pas être surpris. « C’est conforme à notre attente qu’ISDE et le Bureau de la concurrence demandent la vente des activités sans fil, soit la totalité ou une grande partie des licences. »

Chez Québecor, on s’est dit satisfait de la déclaration de M. Champagne. Un rachat complet des licences aurait été « contraire à l’intérêt public », a jugé M. Péladeau.

« Alors que Bell, Rogers et Telus contrôlent déjà 90 % des parts de marché du sans-fil au Canada, il est impératif de mettre en œuvre les conditions favorables à l’émergence d’une réelle concurrence pour procurer aux consommatrices et aux consommateurs plus de choix, de meilleurs prix, de meilleurs services et davantage d’innovations », a-t-il déclaré dans un communiqué.

Même son de cloche chez Cogeco où l’on accueille favorablement la déclaration du ministre. « Les Canadiens souhaitent avoir plus de choix pour leurs services de téléphonie mobile, a réagi Youann Blouin, le porte-parole de l’entreprise, par courriel. Permettre à Rogers d’acquérir et de fusionner les opérations et les licences que Shaw a obtenues en tant que nouvel entrant effacerait près de 15 ans de politiques fédérales et irait à l’encontre de ce désir d’encourager plus de compétitivité. »

La vente d’une partie des licences de Shaw ne réglera pas nécessairement tous les problèmes liés à la concurrence, estime M. Geist. « Même avec des actifs essaimés, il reste des inquiétudes que la transaction réduise la concurrence pour de nombreux consommateurs canadiens et que les frustrations sur les prix élevés de la téléphonie sans fil demeurent. »