Devantures vandalisées, matériel brisé, employés poussés et frappés et clients expulsés : demander le passeport vaccinal n’est pas de tout repos

Une vaste majorité de commerçants exploitant de grandes surfaces en ont « ras le bol » du passeport vaccinal, qui ne fait que leur attirer les foudres des clients mécontents, parfois agressifs, tout en faisant diminuer l’affluence et les ventes, témoignent-ils. Certains ont même réduit leur espace commercial afin de ne plus être contraints de demander aux consommateurs de montrer patte blanche.

Depuis le 24 janvier, les magasins d’une superficie de plus de 1500 mètres carrés, à l’exception des supermarchés et des pharmacies, doivent se soumettre à cette règle. Toutefois, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a laissé entendre vendredi que le passeport vaccinal pourrait être suspendu dans « quelques semaines », au moment même où les différentes associations de commerçants font pression sur le gouvernement afin qu’il leur indique à quel moment cette mesure prendra fin.

« Est-ce que la Santé publique va nous recommander, j’espère dans quelques semaines, de dire qu’on peut le suspendre parce que ça va mieux ? Mais est-ce qu’on pourrait le rétablir si jamais on était pris avec une autre vague ? C’est à ça qu’il faut penser », a expliqué M. Dubé, lors d’une période d’interpellation tenue au Salon bleu de l’Assemblée nationale.

Pendant ce temps, aux portes des commerces, l’exaspération est palpable, selon les commerçants interrogés. « Des engueulades, des gens qu’on est obligés de sortir de force, des gens qui rentrent en faisant exprès pour ne pas montrer leur passeport vaccinal », c’est ainsi que Paul-André Goulet, propriétaire de 10 magasins Sports Experts, décrit des scènes vécues dans ses commerces depuis le 24 janvier.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Paul-André Goulet, propriétaire de 10 magasins Sports Experts

Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on les arrête, ou on les laisse continuer ? Ce n’est pas évident. C’est comme si on nous demandait de traiter les gens qui ne présentent pas le passeport vaccinal comme des voleurs et de les sortir du magasin.

Paul-André Goulet, propriétaire de 10 magasins Sports Experts

M. Goulet a même engagé des gardiens de sécurité pour tenter de calmer les possibles débordements. Dans une lettre ouverte envoyée mercredi, les représentants du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) et de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT) soutenaient que le passeport vaccinal était devenu une source de conflits.

« Des marques de commerce sont traînées dans la boue sur les réseaux sociaux, certaines le seront durablement, a-t-on écrit. Certaines devantures ont été vandalisées, du matériel brisé, des employés poussés et frappés et des clients expulsés des magasins. Le détaillant est devenu la cible facile pour une partie de la population frustrée par les mesures sanitaires. On ne compte plus le nombre d’employés qui ne veulent plus être placés à la porte des commerces ; le niveau de stress est palpable et les absences au travail augmentent. »

Consultez la lettre ouverte du CQCD, du CCCD et de l’AQMAT

Moins de clients en magasin

Dans ce contexte, Paul-André Goulet ajoute que la mesure a un effet direct sur la fréquentation. À Sept-Îles, sur la Côte-Nord, Dominic Larouche, directeur général de la quincaillerie Lauremat, a constaté une diminution de ses ventes d’environ 20 % à 25 % dans les jours qui ont suivi l’imposition du passeport vaccinal. « Ç’a été drastique ! », affirme-t-il.

Les commentaires négatifs de ceux qui ont décidé de boycotter son magasin provenaient en général de gens doublement ou triplement vaccinés s’opposant tout de même au passeport, parce que jugé discriminatoire, soutient-il.

Devant cette baisse et en constatant que son stationnement était pratiquement désert, ce qui n’est pas le cas en temps normal, M. Larouche a condamné des rangées et certains comptoirs de son magasin afin de réduire sa superficie de vente – normalement de 1858 mètres carrés – pour qu’elle soit inférieure à 1500 mètres carrés. Il en a fait l’annonce sur la page Facebook de Lauremat le 8 février, s’attirant remerciements et reconnaissance.

Je n’ai pas une promotion qui a fait autant parler que mon message disant que j’acceptais tout le monde maintenant. Ce n’est que du positif depuis que j’ai barré des sections. Ce n’est pas drôle : je coupe des produits à des clients, mais ils sont contents juste parce qu’ils peuvent venir.

Dominic Larouche, directeur général de la quincaillerie Lauremat

À Sainte-Agathe-des-Monts, Christian Bélair, directeur général de la quincaillerie Lortie et Martin, reçoit beaucoup d’appels de clients voulant savoir si son commerce impose le passeport vaccinal.

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTIAN BÉLAIR

Christian Bélair, directeur général de la quincaillerie Lortie et Martin

« Est-ce que je perds de la business [parce que je demande le passeport] ? Je ne sais pas », admet celui dont la quincaillerie a une superficie de 5000 mètres carrés. « Je me suis fait menacer par des gens qui me disaient qu’ils allaient fermer leur compte chez nous », ajoute-t-il.

M. Bélair dit souhaiter que cette mesure soit levée avant le printemps, haute saison pour les quincailleries, car les files d’attente risquent de s’allonger. « Ce sont les gens vaccinés qui vont en souffrir. »

Avec la collaboration d’Henri Ouellette-Vézina, La Presse