Des cadres subalternes du Casino de Montréal, qui tentent de se syndiquer depuis 2009, ont obtenu une victoire importante qui pourrait chambarder le droit du travail au Québec : la Cour d’appel a confirmé leur droit à négocier une convention collective.

« Comme a dit Neil Armstrong, c’est un petit pas pour l’homme, un grand bond pour l’humanité », résume, sourire en coin, MJean-Luc Dufour, avocat au cabinet Poudrier Bradet, qui représente depuis les tout débuts l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec, avec son ex-collègue Frédéric Tremblay.

« C’est un aboutissement victorieux dans le processus de reconnaissance du droit à la négociation collective des cadres », ajoute-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR POUDRIER BRADET

MJean-Luc Dufour, avocat au cabinet Poudrier Bradet spécialisé en droit du travail

Le 8 février dernier, le plus haut tribunal québécois a en fait confirmé une décision semblable du Tribunal administratif du travail (TAT) datant de 2016, qui avait été infirmée par la Cour supérieure en 2018. Dans une longue décision de 76 pages très fouillée, la Cour d’appel a essentiellement conclu que la décision de 2016 ne comportait pas d’erreurs majeures justifiant sa révision.

La Société des casinos du Québec et, ultimement, le Procureur général du Québec ont 60 jours pour porter la cause devant la Cour suprême. La Cour d’appel donne 12 mois aux parties patronales pour mettre sur pied un mécanisme de négociation collective, par accréditation syndicale ou par tout autre moyen.

« Nous allons prendre le temps de lire et d’analyser la décision pour le moment », a précisé dans un courriel envoyé à La Presse Renaud Dugas, porte-parole de Loto-Québec, dont relève le Casino de Montréal.

Chemin ouvert

« C’est une très bonne nouvelle, dans un dossier qui a débuté il y a 13 ans, se réjouit Daniel Laporte, président de l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec. Nous, on a tenté de se syndiquer pour pouvoir avoir des discussions, un rapport de forces égal. On veut être partie prenante de nos conditions de travail. »

Il estime que son association a obtenu une victoire dont pourront s’inspirer d’autres cadres de grandes entreprises.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Daniel Laporte, président de l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec

On est les premiers. Que ce soit chez Hydro-Québec, Bombardier, dans toute entreprise avec des cadres de premier niveau, on a ouvert le chemin.

Daniel Laporte, président de l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec

Cette décision importante, d’entrée de jeu, ne concerne en effet que des cadres dits « de premier niveau » au Casino de Montréal. Il s’agissait, à l’origine en 2009, de 250 cadres occupant le poste de superviseur des opérations. Ils sont aujourd’hui 167, au chômage depuis la mi-décembre en raison des fermetures liées à la COVID-19. La réouverture partielle est prévue le 28 février prochain.

Souvent anciens croupiers, ces cadres s’assurent du respect des règles du jeu et s’occupent du service à la clientèle. Dans sa décision de 2016, le Tribunal administratif du travail les décrit comme « les yeux et les oreilles de l’employeur sur le plancher ». À ce titre, tout comme les chefs de table qu’ils ont remplacés en 2005, ils ne pouvaient former un syndicat. Ils se sont plutôt regroupés dès 1997 au sein de ce qui deviendra l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec, après une modification unilatérale de leurs horaires de travail par le Casino.

« Il y a absence de discussions sur certains sujets, note le TAT dans sa décision de 2016. Ainsi, la question du prélèvement des cotisations, l’augmentation des libérations des représentants et l’inclusion des conditions de travail dans le Protocole font l’objet d’une fin de non-recevoir. Toutes les questions de rémunération ne sont pas discutées et les règles d’octroi de boni ont été modifiées sans consultation préalable. »

Contestation et décision retardée

Une série d’accrochages avec l’employeur conduiront finalement au dépôt d’une requête d’accréditation syndicale en bonne et due forme le 10 novembre 2009.

« Il y avait une marche à suivre : comme cadre de premier niveau, on n’a pas de mécanisme, on n’a rien à part la possibilité d’aller en cour, explique Daniel Laporte. Et le processus peut être long. »

Les relations entre les deux parties ne s’en trouvent guère améliorées après 2009, peut-on lire dans la décision du Tribunal administratif du travail. Les recours en contestation se multiplient, et ce tribunal ne rendra finalement sa décision qu’en 2016.

Celle-ci est sans équivoque : priver les superviseurs aux opérations du Casino de leur droit à la liberté d’association va à l’encontre des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. Le Tribunal administratif du travail reconnaît qu’un employeur ne saurait accepter que tous ses cadres soient syndiqués. Mais « le fait d’exclure de façon générale les cadres du régime d’accréditation n’a pas de lien rationnel avec l’objectif de maintenir la loyauté et l’absence de conflit d’intérêts », écrit-on, d’autant que les superviseurs des opérations ont un statut particulier, « entre l’arbre et l’écorce ».

« Ils ne bénéficient pas de la relation privilégiée que peuvent entretenir les cadres de niveaux supérieurs avec l’entreprise. Ils ne participent pas aux orientations de l’entreprise. Ils ne jouent pas non plus de rôle stratégique dans les relations du travail : ils ne négocient pas les conventions collectives ; ils en assurent l’application dans le quotidien des activités. »

Bien qu’il s’agisse d’un jalon important en droit du travail, il serait difficile d’étendre cette décision à toutes les catégories de cadres dans les entreprises et les organismes publics, prévient MDufour.

« C’est peut-être plus hasardeux pour les cadres qui sont véritablement dans un processus décisionnel, estime-t-il. Mais c’est un pas majeur vers quelque chose d’autre, quelque chose qui permettra aux cadres d’avoir un processus de négociation formelle. »