(New York) Le choix de Neil Young de se retirer de Spotify à cause de la balado de l’animateur américain populaire et controversé Joe Rogan met les plateformes de diffusion en continu face à de nouvelles responsabilités sur la désinformation, à l’instar des réseaux sociaux.

Du large répertoire de la légende du folk-rock, ne restaient jeudi sur Spotify que des morceaux où il se produit sur les albums d’autres artistes ou en live.

Neil Young, 76 ans, 2,4 millions d’abonnés sur la plateforme suédoise, a donc mis à exécution la menace de faire ses bagages si Spotify ne renonçait pas à héberger la balado « The Joe Rogan Experience » (JRE).

« Spotify est devenu un lieu de désinformation potentiellement mortelle sur la COVID-19. Des mensonges vendus contre de l’argent », a asséné le chanteur américano-canadien, dont le geste a été applaudi par le patron de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Populaire et décrié, Joe Rogan, qui anime une balado exclusive et quotidienne sur Spotify – la plus écoutée de la plateforme en 2021 – est notamment accusé d’avoir découragé la vaccination anti-COVID-19 chez les jeunes et promu l’ivermectine, un traitement non autorisé.

Rappeurs

Plus de 200 professionnels de santé américains avaient récemment tiré la sonnette d’alarme, après qu’il eut reçu dans son émission un médecin très apprécié des anti-vaccins, le Dr Robert Malone.  

Par la voix d’un porte-parole, Spotify a regretté le départ de Neil Young, mais mis en avant l’équilibre entre « la sécurité des auditeurs et la liberté de création ».

L’an dernier, son patron, Daniel Ek, avait jugé sur une balado d’Axios (Re:Cap) que la plateforme n’avait pas de responsabilité éditoriale pour le contenu de ses balados.

« Nous avons aussi des rappeurs […] qui font des dizaines de millions de dollars, voire plus, chaque année sur Spotify. Et nous ne leur dictons pas ce qu’ils doivent mettre dans leurs chansons », avait-il soutenu.

Neil Young a appelé d’autres artistes à le suivre.

À l’instar des réseaux sociaux, les plateformes de diffusion en continu doivent-elles contrôler leur contenu ? Pas si simple, répondent les experts interrogés par l’AFP.

Boycottage

« Il a tout à fait le droit de faire ce qu’il fait » et « c’est probablement l’un des seuls artistes qui peut se permettre de tels appels », juge la directrice du programme « liberté d’expression » de l’organisation de défense des écrivains Pen America, Summer Lopez.

Mais elle a exprimé ses réserves en cas « d’appels au boycottage plus larges de Spotify », car « il s’agit d’une plateforme essentielle pour que les artistes touchent leurs audiences, et une source de revenus ».

Elle pointe aussi qu’au contraire des réseaux sociaux, une plateforme de diffusion en continu est « d’abord conçue pour diffuser des œuvres d’art ».

« Je pense que le vrai problème ici est que Spotify n’a pas de politique claire à ce sujet », ajoute-t-elle, en s’interrogeant sur la volonté de la plateforme de mettre de côté ses « préoccupations commerciales ».

L’univers des balados est en tout cas propice à toute sorte de désinformation, juge une analyste de la Brookings Institution, Valerie Wirtschafter. Parce qu’« il s’agit d’un espace immense et très décentralisé ». Mais aussi parce que l’expérience du son combinée au ton de conversation des podcasts « fait potentiellement de ce support un moyen plus fort pour ces contre-vérités et cette désinformation de se disséminer ».

Aiguille

Et traquer ces contre-vérités dans une balado, « c’est un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin », selon elle. Un épisode de JRE dure facilement deux à trois heures.

Parmi les solutions, Valerie Wirtschafter cite les messages de modération qui pourraient être diffusés avant un épisode, ainsi que des mesures sur les algorithmes des plateformes pour éviter qu’elles « n’amplifient des contenus préjudiciables ».

De son côté, le spécialiste des théories du complot à l’Université de Miami, Joseph Uscinski, met en garde contre l’idée de confier tout « outil de censure » à un gouvernement afin de combattre la désinformation.

« Ils peuvent être utilisés pour de bonnes raisons aujourd’hui, mais ils seront disponibles demain pour des personnes qui ne sont pas aussi bienveillantes », note-t-il.

Neil Young, victime alors qu’il était enfant d’une attaque de poliomyélite dont il a gardé des séquelles toute sa vie, s’est défendu de toute volonté de censure.

« Je l’ai fait parce qu’au fond de mon cœur, je n’avais aucun autre choix », a-t-il écrit. « C’est ce que je suis. Je ne censure personne ».