(Bruxelles) La justice de l’Union européenne a infligé un camouflet à la Commission européenne en annulant mercredi une amende de 1,06 milliard d’euros prononcée en 2009 contre le fabricant américain de puces électroniques Intel pour abus de position dominante.

Le tribunal de l’UE a estimé que « l’analyse réalisée par la Commission [européenne] était incomplète et, en tout état de cause, ne permettait pas d’établir à suffisance de droit que les rabais litigieux étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels ».

L’amende de 1,06 milliard d’euros, un montant record à l’époque, avait été annoncée le 13 mai 2009. Le fabricant de microprocesseurs était accusé d’avoir abusé de sa position dominante entre 2002 et 2007, en mettant en œuvre une stratégie destinée à exclure du marché son seul concurrent sérieux, AMD.

La pratique mise en place par Intel, qui détenait alors au moins 70 % des parts de marché de certains processeurs dans l’UE, consistait notamment en des rabais accordés aux fabricants d’ordinateurs pour qu’ils achètent auprès de lui seul la quasi-totalité de leurs puces.

Le tribunal basé à Luxembourg a expliqué dans un communiqué qu’il annulait « pour partie » la décision de la Commission, gardienne de la concurrence dans l’UE. Si certaines pratiques illégales ont bien été reconnues, la capacité des rabais litigieux à évincer la concurrence n’a en revanche pas été démontrée par Bruxelles.

Mais, ne s’estimant « pas en mesure d’identifier le montant de l’amende afférent uniquement » aux abus confirmés, le tribunal a décidé de l’annuler « dans son intégralité ».

Cette annulation survient après quasiment 13 ans de procédure judiciaire et 20 ans après les faits.

Elle est encore susceptible de pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission a aussi la possibilité de recalculer le montant de l’amende.

Lenteur des procédures

La commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, a déclaré qu’elle aurait « besoin d’un peu de temps » pour décider des suites à donner. « Nous devons étudier en détail ce jugement, l’équilibre entre ce que nous avons gagné et ce que nous avons perdu », a-t-elle dit lors d’une conférence de presse.

Intel s’est en revanche félicité de l’arrêt du tribunal : « nous avons toujours pensé que nos actions concernant les rabais étaient légales et ne nuisaient pas à la concurrence. L’industrie des semi-conducteurs n’a jamais été aussi concurrentielle qu’aujourd’hui ».

Cette amende figure au quatrième rang des plus grosses sanctions financières infligées par Bruxelles à une entreprise pour pratiques anticoncurrentielles. Elle a seulement été dépassée dans trois dossiers concernant le géant américain des technologies Google.

La plus grosse, d’un montant de 4,34 milliards d’euros, a été infligée en 2018 au spécialiste des moteurs de recherche pour avoir tenté d’imposer ses propres applications aux fabricants de tablettes et téléphones intelligents en profitant de la position dominante de son système d’exploitation Android.

Google s’est vu infliger au total plus de 8 milliards d’euros d’amendes entre 2017 et 2019, mais ces sanctions font encore l’objet de procédures judiciaires après des recours devant la justice de l’UE.

La lenteur des enquêtes bruxelloises et des contentieux devant les tribunaux rend les amendes de l’exécutif européen peu efficaces pour régler les problèmes de concurrence sur les marchés des nouvelles technologies en évolution rapide. Les entreprises incriminées étant en mesure d’installer des quasi-monopoles avant de subir la moindre sanction.

« Le jugement est décevant, car nous pensons qu’Intel a adopté un comportement anticoncurrentiel qui a limité le choix des consommateurs. Mais il est encore plus frappant de constater qu’il a fallu plus de vingt ans pour qu’une décision soit prise », a déploré l’association européenne de consommateurs BEUC.

Cette prise de conscience a poussé Bruxelles à présenter en décembre 2020 un projet de réglementation (DSA/DMA) pour enfin mettre au pas les géants du numérique. Cette nouvelle législation, en cours d’examen par le Parlement européen et les États membres, prévoit des obligations et interdictions assorties de sanctions dissuasives pour agir en amont.

Le revers infligé mercredi par la justice européenne à la Commission n’est pas une première. La commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager a déjà subi plusieurs déconvenues, notamment face à Apple en juillet 2020. Les juges avaient annulé le remboursement à l’Irlande de 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux considérés comme indus par Bruxelles.