La possibilité de permettre aux employeurs d’exiger que leur personnel soit vacciné ne fait pas l’unanimité et semble créer un malaise chez certains commerçants et syndicats. Pour « mettre fin à cette ambiguïté » et dissiper la peur, la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) et le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) demandent au gouvernement d’adopter une « loi claire » qui permettrait aux entreprises qui le veulent d’exiger que leurs employés relèvent leur manche, sans crainte de représailles.

« L’idée, c’est de définir le carré de sable pour ceux qui le veulent », a affirmé au bout du fil Charles Milliard, président-directeur général de la FCCQ. Ce dernier a d’ailleurs signé une lettre d’opinion publiée dans La Presse, où il se prononçait sur le sujet.

« Ça devient un flou artistique où il y a des employeurs plus téméraires qui décident [de l’imposer] et d’assumer le risque. Et il y en a d’autres qui mettent plus à risque leurs employés et leurs clients parce qu’ils ont peur du risque juridique, explique-t-il. C’est comme si [le gouvernement] disait : “Faites-le, exigez-le et après ça, si vous êtes poursuivis, vous irez en cour et les tribunaux trancheront.” Mais les employeurs n’ont pas juste ça à faire alors que le gouvernement, lui, a des outils. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Charles Milliard, président-directeur général de la FCCQ

La question est revenue sur la table au cours des derniers jours en raison de la décision de Québec d’imposer le passeport vaccinal aux clients des grandes surfaces de plus de 1500 mètres carrés, à compter du 24 janvier. Or, un consommateur pourrait se retrouver à montrer patte blanche à un employé d’un magasin qui n’est peut-être pas adéquatement vacciné, puisque son employeur ne peut le contraindre à recevoir ses doses.

Mission impossible

À son passage à l’émission Tout le monde en parle, diffusée dimanche soir sur les ondes de Radio-Canada, le premier ministre du Québec, François Legault, a été interrogé à ce sujet. Selon lui, il n’existe pas de cadre juridique pour obliger un employé à se rendre dans un centre de vaccination. « C’est actuellement légalement pas possible de contraindre des personnes, de leur dire “vous perdez votre emploi”, a-t-il répondu. On était prêt à le faire dans le réseau de la santé et déjà les avocats nous disaient [que c’était] borderline d’obliger les infirmières à se faire vacciner. Finalement, il nous manquait d’infirmières, et on a reculé. Mais à la SAQ, dans les restaurants, chez Canadian Tire, les avocats nous disent : “On ne peut pas contraindre quelqu’un à perdre son emploi”. »

« On ne vise pas des congédiements, tient pour sa part à dire Charles Milliard. On vise une mesure temporaire, pour pouvoir légitimer des entreprises qui veulent contribuer à la lutte contre la COVID. Ça peut très souvent résulter, particulièrement dans des entreprises syndiquées, par des relocalisations de tâches temporaires. Il n’y a personne qui a intérêt à ce qu’il y ait des gens qui ne travaillent pas en ce moment. »

Du côté du CCCD, qui représente notamment de grandes enseignes comme Costco et Walmart – qui devront demander à leurs clients de présenter leur passeport vaccinal –, le président pour le Québec, Michel Rochette, appuie également l’idée de la FCCQ. « Au lieu d’y aller avec du mur à mur, c’est de commencer par donner la capacité aux entreprises qui le désirent de pouvoir le faire, soutient-il. La campagne électorale fédérale avait commencé sur cette promesse-là. Les gouvernements doivent se donner la capacité de montrer aux entreprises qu’ils vont les soutenir si elles vont dans cette voie-là. »

Pas d’unanimité

Or, les chefs d’entreprise, les commerçants et les syndicats interrogés ne sont pas unanimes sur cette question. La Société des alcools du Québec (SAQ), qui imposera mardi le passeport vaccinal aux amateurs de vin et de spiritueux qui se rendront en succursale, n’a pas voulu se prononcer pour ou contre une telle loi. « Depuis le début de la pandémie, la SAQ respecte et applique toutes les recommandations et directives des autorités sanitaires, a souligné le porte-parole Yann Langlais-Plante. Quant à cette question, c’est à ces mêmes autorités de prendre une telle décision, pas à la SAQ. »

Un employé de la société d’État non vacciné ne pourra faire des achats en succursale, même pendant son quart de travail, nous assure-t-on.

« Je ne souhaite pas que le gouvernement oblige la vaccination », indique pour sa part Frédéric Chouinard, cofondateur de la firme de recrutement SUITalent.

C’est logique, selon nous, de laisser le choix à des adultes réfléchis de se faire vacciner ou non. On comprend les enjeux de la COVID, les hospitalisations et les décès qui en découlent, mais on respecte les droits et libertés individuels. Quand on retournera au bureau, on imposera les tests rapides avant les activités de groupe.

Frédéric Chouinard

Du côté des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC Canada), qui représentent notamment des employés de 46 quincailleries au Québec, la porte-parole Roxane Larouche indique que son organisation n’a pas de position officielle sur le sujet puisqu’il s’agit d’une question hypothétique. Elle souligne néanmoins que son syndicat encourage la vaccination. « D’offrir des incitatifs (argent, cartes cadeaux), c’est beaucoup plus positif que de l’obliger. »

« Le légal n’est pas de notre bord, les droits de la personne prévalent », signale pour sa part Richard Darveau, président et chef de la direction de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT). « Donc, la question demeure rhétorique, selon moi. »

Dans l’industrie de la chaussure, Linda Goulet, qui dirige Chaussures Panda, appuie « à 100 % » la mise en place d’une loi permettant aux employeurs d’obliger la vaccination. Jean-François Transon, président de Club C et de Nero Bianco, se dit « ni contre ni pour ». « Je trouve que c’est encore une façon pour le gouvernement de se dégager d’imposer une vaccination obligatoire et de mettre ça dans les mains du privé. »

Avec la collaboration d’Isabelle Massé, La Presse

Lisez la lettre de la FCCQ « Donnez-nous le droit d’exiger la vaccination, s’il vous plaît ! »