Le fondateur de la société de gestion de placement Fiera Capital, Jean-Guy Desjardins, passe la main. Jean-Philippe Lemay devient président mondial et chef de la direction de Fiera Capital. Ces nominations sont entrées en vigueur le 1er janvier 2022.

Jean-Guy Desjardins devient président exécutif du conseil de la firme de gestion de placement qui a un actif sous gestion de plus de 180 milliards, 850 employés et des bureaux à New York, Londres et Hong Kong.

Son successeur, Jean-Philippe Lemay, possède plus de 20 années d’expérience en tant que dirigeant et dans le domaine des placements. Il s’est joint à Fiera Capital en 2012, où il a occupé divers postes de direction, dont celui de président et chef de l’exploitation globale depuis mars 2020. Il était auparavant responsable de la division canadienne de Fiera Capital depuis 2017. Il est Fellow de la Société des actuaires (FSA), Fellow de l’Institut canadien des actuaires (FICA) et est titulaire de la certification CAIA (analyste agréé en placements alternatifs).

La Presse s’est entretenue mercredi avec M. Desjardins.

Comment se sent-on une journée comme aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je me sens très bien. Les dernières semaines ont été plus difficiles. C’est normal, ça fait 50 ans que je suis président et chef de la direction d’une entreprise. Je suis très à l’aise avec le choix de mon successeur. Jean-Philippe est un associé que j’ai identifié il y a huit ou neuf ans à qui j’ai fourni une multitude d’opportunités en cours de route pour prouver qu’il méritait d’être le président et chef de la direction de Fiera Capital.

À la fin de 2019, j’ai convenu avec le conseil d’administration que je restais comme PDG pour trois ans et que je coacherais Jean-Philippe. Ça fait deux ans, et j’ai considéré que le temps était venu. C’est clair que maintenant, la responsabilité et la direction de l’entreprise sont dans les mains de Jean-Philippe et non plus dans celles de Jean-Guy.

Vous aviez bâti TAL gestion globale d’actifs que vous avez vendue en 2001. Aujourd’hui, Fiera est trois fois plus grosse que TAL à l’époque. Qu’y a-t-il de différent avec Fiera ?

Fiera est une entreprise globale avec une présence aux États-Unis, en Asie et en Europe ; TAL était en grande partie canadienne. Fiera est aussi beaucoup plus diversifiée en termes de capacité de gestion. Tout ce qu’on a dans les marchés privés : crédit alternatif, immobilier, infrastructure, capitaux privés, agriculture. Toutes des choses qu’on n’avait pas chez TAL. On est un leader dans ce segment des marchés privés parmi les gestionnaires publics canadiens. Le déplacement du capital des portefeuilles institutionnels et privés vers les véhicules de placement alternatifs, c’est un mouvement qui fait juste commencer.

La croissance de Fiera a été exceptionnelle, la progression du cours de son action, beaucoup moins. Comment expliquez-vous cet écart ?

Si on regarde la croissance de l’entreprise dans les trois dernières années et le prix de l’action (FSZ, à Toronto) dans le marché, la corrélation entre les deux n’est pas là. La vraie réponse, je ne l’ai pas. Une théorie qui circule est notre absence de l’indice TSX. Notre titre ne profite donc pas des flux de capitaux qui sont investis dans les indices. Notre capitalisation boursière et notre volume de transactions journalier ne sont pas assez élevés pour qu’on soit intégrés dans l’indice.

Quels sont les prochains défis de Fiera ?

Nous devons maximiser les opportunités qui existent dans les marchés où nous sommes présents. On a beaucoup investi dans nos talents de gestion et dans nos capacités de gestion de placements. Aujourd’hui, c’est, de loin, notre plus grand avantage comparatif, soit la qualité de nos rendements et la variété du choix de nos stratégies de placement que l’on offre. Il faut maintenant investir dans notre branding, dans la commercialisation et la distribution.

On voit que les postes de décision au sein de la Banque Laurentienne se déplacent vers Toronto. Comment voyez-vous l’avenir de Montréal comme place financière ?

Le défi est de garder la place qu’on a aujourd’hui. On ne prendra pas la place de Toronto. Mais si on peut garder l’importance relative qu’on a aujourd’hui, ce serait une réussite en soi, ne pas être marginalisé en cours de route. Comment y arriver ? Que l’infrastructure québécoise, je pense à la Caisse de dépôt et Investissement Québec, appuie et encourage les initiatives entrepreneuriales dans le secteur de la finance. Je perçois un intérêt plus grand de leur part que dans le passé.

Avez-vous des regrets ?

Je vais avoir des regrets si Fiera n’est pas là où je la vois dans dix ans. Notre ambition chez Fiera est d’être perçus comme un allocateur de capital efficient. Historiquement, le rôle d’un gestionnaire de portefeuille était d’obtenir de bons rendements. J’aime penser que notre rôle est plus large que ça. Plus large, dans le sens de la diversité, de l’inclusion, de la gouvernance et de l’environnement. Notre ambition est de faire en sorte qu’en 2030, Fiera soit clairement identifiée comme un allocateur de capital efficient dans un sens large.

Portrait d’un bâtisseur financier

Fils du quartier Rosemont né en 1944, Jean-Guy Desjardins a connu une enfance turbulente, étant expulsé de quatre établissements d’enseignement avant de trouver sa voie : le monde des affaires. De son premier emploi d’emballeur au supermarché Steinberg du quartier, il va ensuite travailler à 16 ans dans le recouvrement des comptes clients. Il obtient son diplôme de HEC Montréal en 1971. Il entre à la Sun Life puis chez N.A. Timmins, gestionnaire de la fortune de la famille du même nom. M. Desjardins devient actionnaire en 1976 de ce qui s’appelle dorénavant Timmins et Associés Limitée, laquelle prendra le nom de TAL gestion globale d’actifs en 1987. CIBC acquiert une participation minoritaire en 1994 avant de racheter en 2001 la totalité de TAL, qui a alors un actif sous gestion de 65 milliards. M. Desjardins repart de zéro en créant Fiera Capital en 2003, à 58 ans. L’entreprise est aujourd’hui trois fois plus grosse que TAL à l’époque. M. Desjardins est lauréat du prix d’excellence du CFA Institute et a reçu l’insigne de membre de l’Ordre du Canada

Source : enseignements tirés du livre de Jacqueline Cardinal, Jean-Guy Desjardins, le phénix de la finance, publié en 2017.