(Bruxelles) L’UE et les États-Unis se sont entendus mardi sur un armistice de cinq ans pour régler le vieux conflit Airbus/Boeing qui empoisonnait leur relation, signe tangible d’un apaisement entre les deux blocs après les années Trump.

« Nous avions décidé conjointement de résoudre cette dispute. Aujourd’hui on a tenu promesse », a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Cette percée a été obtenue durant une visite du président américain Joe Biden à Bruxelles pour un sommet UE/États-Unis, première rencontre de ce type depuis 2017.

« Cet accord ouvre un nouveau chapitre dans notre relation, car nous passons d’un contentieux à une coopération sur l’aéronautique, après 17 ans de dispute », s’est réjouie Mme von der Leyen.

Les deux parties ont accepté de suspendre pendant cinq ans les droits de douane punitifs qu’ils s’infligent dans le cadre de ce contentieux, a expliqué le président américain Joe Biden, saluant « une percée majeure ».

Contrer la Chine

Il en a aussitôt profité pour rallier l’UE dans son bras de fer avec la Chine. « Nous sommes convenus de travailler ensemble pour contester et contrer les pratiques non commerciales de la Chine dans le secteur (aéronautique), qui donnent aux entreprises chinoises un avantage déloyal », a-t-il commenté. « C’est un modèle sur lequel nous pouvons nous appuyer pour relever d’autres défis posés par le modèle économique de la Chine », a-t-il insisté.

Washington et Bruxelles s’opposent depuis 2004 devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aides publiques illégales versées à leurs deux avionneurs.

Sous l’administration Trump, Washington avait été autorisé en octobre 2019 à imposer des taxes sur près de 7,5 milliards de dollars (6,8 milliards d’euros) de biens et services européens importés chaque année, à hauteur de 25 % pour les vins et spiritueux, et de 15 % pour les avions Airbus.

L’OMC avait aussi permis à Bruxelles d’instaurer 4 milliards de dollars de taxes sur des produits importés des États-Unis.

Emmanuel Macron a vu dans cet accord les « premiers résultats » de la « nouvelle relation » avec l’administration Biden, saluant une « bonne nouvelle » pour les viticulteurs français. L’Allemagne s’est félicitée d’un « signal important pour la coopération transatlantique ».

« C’était un des plus anciens et des plus coûteux conflits dans l’histoire de l’OMC, et les deux parties ont montré que même les différends apparemment les plus inextricables peuvent être résolus », a déclaré la directrice générale de l’institution, Ngozi Okonjo-Iweala.

L’accord a été salué par Boeing. Il crée « les conditions d’une concurrence équitable » entre les deux avionneurs, s’est réjoui Airbus.

Le ministre espagnol de l’Agriculture Luis Planas s’est félicité « de la fin de droits de douane qui taxaient de manière injuste le secteur agroalimentaire espagnol, en particulier l’huile d’olive, le vin, les fromages et les agrumes ». Les exportateurs de vins et spiritueux français se sont déclarés « soulagés ».

Des contentieux demeurent

Outre le conflit Airbus/Boeing, l’UE et les États-Unis s’opposent encore sur une série d’autres dossiers, notamment celui des exportations d’acier et d’aluminium européens pour lequel l’UE souhaite un règlement d’ici décembre.

Mme von der Leyen a annoncé un groupe de travail sur ce dossier. « Je suis confiante sur le fait que nous trouverons une solution », a-t-elle dit.

Le sommet a été « un moment important avec des premiers actes qui ont été posés au-delà des messages généraux ou généreux. Nous allons continuer dans cet esprit, en étant lucides sur le fait que certains sujets seront bien sûr plus difficiles », a souligné Charles Michel, le président du Conseil européen qui représente les 27 États membres de l’UE.

Le mandat de Donald Trump avait été marqué de fortes tensions avec l’UE que le prédécesseur de Biden considérait comme « un ennemi ».  

Le nouveau président américain veut « désamorcer les contentieux commerciaux afin de se concentrer sur sa priorité, la Chine », souligne Eric Maurice de la fondation Schuman.

L’UE et les États-Unis resserrent aussi les rangs contre la Russie, qu’ils accusent de tentatives de déstabilisation en Ukraine et en Géorgie, deux pays de son voisinage tentés par un rapprochement avec les Européens.

À la veille d’un sommet avec Vladimir Poutine à Genève, M. Biden a quitté Bruxelles, fort du symbole d’union qu’il était venu chercher.

Les pays européens « sont clairement unis dans leur approche vis-à-vis de leur plus grand voisin », a affirmé Mme von der Leyen, en constatant que « la relation UE-Russie est actuellement plutôt dans une spirale négative ».

PHOTO ROMEO RANOCO, REUTERS

Cinq choses à savoir sur Airbus et Boeing

L’Union européenne et les États-Unis ont accepté de prolonger de cinq ans la trêve pour régler leurs vieux conflits sur les subventions illégales accordées à leurs champions Airbus et Boeing. Voici cinq choses à savoir sur les deux géants de l’aéronautique :

Un duopole tout puissant

Géants de l’industrie et de l’exportation au point que leurs performances se voient sur les statistiques du commerce extérieur, Airbus et Boeing détiennent à eux deux quelque 90 % du marché mondial des avions commerciaux.

Boeing, fondé en 1916, s’est développé tout au long du XXe siècle, lançant le moyen-courrier à succès 737 et l’emblématique long-courrier 747. Boeing, qui au cours de son histoire a aussi absorbé des concurrents comme McDonnell-Douglas, prévoit de réduire ses effectifs à 130 000 employés fin 2021 (contre 161 000 avant la crise). Il possède des usines d’assemblage dans l’État de Washington (nord-ouest) ainsi qu’en Caroline du Sud (sud-est).

De son côté, Airbus est une création politique franco-allemande qui remonte à 1970 avec le lancement de l’A300, et a pris graduellement de l’envergure, en particulier avec le très populaire A320, concurrent du 737. Le groupe a aussi intégré des constructeurs espagnols et britanniques et comptait fin 2019 quelque 135 000 employés, avant la crise qui l’a amené à supprimer 15 000 postes.

Pour répondre à la demande, le groupe a localisé sa production auprès de ses clients à Mobile (Alabama, sud des États-Unis), Tianjin (Chine) et Mirabel (Canada), outre ses installations historiques de Toulouse (France) et Hambourg (Allemagne).

Fragilisés par la crise sanitaire

La COVID-19 a saigné financièrement les compagnies aériennes clientes, forçant les deux avionneurs à réduire drastiquement leurs livraisons.

Airbus n’a livré que 566 appareils en 2020, un tiers de moins que l’année précédente. Empêtré dans les problèmes de son 737 MAX, Boeing n’a lui livré que 157 avions, contre 380 en 2019.

Conséquence, les pertes se sont creusées, et les chiffres d’affaires se sont effondrés : -29 % pour Airbus (49,9 milliards d’euros), -24 % pour Boeing (58,2 milliards de dollars).

Satellites, avions de combat et hélicoptères

Tous deux sont également des géants de la défense et du spatial.

Airbus est le premier hélicoptériste mondial (12 % de son activité), produit des satellites, des avions de transport militaires et des avions de combat (Eurofighter). Ses activités de défense et spatiales (21 % de son chiffre d’affaires) en font le 13e plus gros groupe d’armement au monde.

Avec ses hélicoptères Apache et Osprey, ses avions militaires (C17, F15, F18, B52 …), ses missiles, ses satellites et lanceurs spatiaux, Boeing se hisse lui à la deuxième place mondiale des industriels de l’armement. Ces activités ont représenté près de la moitié de son chiffre d’affaires l’an passé.

Dynamiques contraires

Une fois le trou d’air de la COVID-19 passé, Airbus semble mieux placé pour aborder la reprise. Il disposait fin mai de 6933 avions dans son carnet de commandes - contre 4983 pour Boeing - et lancera dans deux ans l’A321 XLR, qui permettra d’assurer des liaisons qui jusqu’ici ne pouvaient l’être que par des gros porteurs long-courriers.

L’avion rencontre un franc succès commercial et Boeing n’a pas d’appareil à lui opposer.

Après avoir vu son 737 MAX cloué au sol pendant 20 mois à la suite de deux accidents meurtriers, l’avionneur américain doit écouler les avions produits qu’il n’avait pu livrer avant de remonter ses cadences.

Et les déboires s’accumulent : les livraisons de son long-courrier 787 sont à nouveau suspendues à la suite de problèmes de fabrication et les premières livraisons de son futur 777X ont été retardées d’un an, à fin 2023, en raison de la faible demande.

Un vieux conflit commercial

Airbus et Boeing, et à travers eux l’UE et les États-Unis, s’affrontent depuis octobre 2004 devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aides publiques versées aux deux groupes, jugées illégales.

La fragilisation des entreprises a convaincu les deux blocs d’enterrer la hache de guerre et de renoncer pour cinq ans aux taxes punitives qu’autorisait l’OMC.

Sous l’administration Trump, Washington avait été autorisé à imposer des taxes à hauteur de 7,5 milliards de dollars, notamment sur les avions européens. Dans la foulée, l’UE avait imposé des droits de douane sur 4 milliards de dollars d’exportations américaines.