Il faudrait une vague d’écœurantites aigües du télétravail pour que les commerces du centre-ville de Montréal soient à nouveau envahis de clients.

En attendant, les détaillants passent un mauvais quart d’heure sans la foule habituelle des travailleurs, congressistes, touristes et étudiants. Un moment difficile qui risque de se prolonger au-delà de la pandémie si l’on se fie aux récentes études sur l’appréciation du télétravail.

C’est « mort », constate François Roberge, propriétaire des boutiques La Vie en Rose.

C’est mort au centre-ville de Montréal, mais aussi à Ottawa, Toronto, Calgary et Vancouver. La baisse des ventes atteint parfois 60 % dans ses boutiques de sous-vêtements et de maillots.

Les tours de bureaux étant pratiquement vides, le nombre de clients potentiels a fondu. C’est mathématique.

La grande question est maintenant de savoir si ça va perdurer, même quand les entreprises auront le droit de ramener tout le monde au bureau. Une récente étude de la firme de recrutement Robert Half indiquait que 33 % des télétravailleurs du pays chercheraient un nouvel emploi s’ils devaient retourner au bureau à temps plein.

En pleine pénurie de main-d’œuvre, cette perspective a de quoi faire frémir les services de ressources humaines.

Conscientes de l’enjeu, les entreprises se montreront flexibles, rapporte le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc. « J’ai parlé avec tous les plus grands employeurs du centre-ville et ils prévoient des modèles hybrides. Aucun ne pense exiger la présence cinq jours. »

Le bon équilibre devra être trouvé. Les cabinets d’avocat, cite M. Leblanc en exemple, ont la crainte présentement d’exiger une trop grande présence au bureau.

Voilà qui apaisera les amoureux du télétravail, mais ne rassurera pas les détaillants du centre-ville.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Vidé de ses travailleurs, le centre-ville de Montréal offre un terreau peu fertile aux détaillants.

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Pour mal faire, les travailleurs les mieux nantis (tertiaire supérieur) et ceux qui sont employés des grandes entreprises au centre-ville s’attendent davantage à travailler de la maison après la COVID-19 que les autres travailleurs montréalais. C’est l’une des conclusions du professeur Richard Shearmur, de l’École d’urbanisme de l’Université McGill, et de ses collègues dans une étude récente de 74 pages sur l’avenir du centre-ville de Montréal.

Consultez l’étude L’avenir du centre-ville de Montréal. Impact immédiat de la COVID et perspectives post-COVID

« En moyenne, les employés du tertiaire supérieur passeront entre 10 et 20 % de plus de leur temps à domicile », écrit le groupe d’experts, en précisant qu’avant la pandémie, ces employés passaient déjà de 10 à 16 % de leur temps de travail à domicile.

Concrètement, les travailleurs se déplaceront au centre-ville trois ou quatre jours par semaine. En conséquence, il y aura, à tout moment, 13 % moins de personnes dans les tours du centre-ville qu’avant la pandémie.

L’étude fait aussi l’hypothèse que les voyageurs d’affaires, les congressistes et le temps passé par les étudiants sur les campus connaîtront la même baisse de 10 à 20 %. Cela touchera forcément les commerces.

De fait, il n’y a pas que le taux d’occupation des gratte-ciels qui fait une différence dans les ventes au détail. Dans le secteur de la mode, par exemple, il faut aussi des occasions de s’habiller chic, un peu ou très.

Ainsi, il faut que les restaurants soient ouverts, qu’il y ait des festivals, des spectacles d’humour, des soirées d’opéra, des concerts, du théâtre. Les assouplissements annoncés mardi par Québec sont donc une bonne nouvelle pour les boutiques de vêtements, particulièrement éprouvées par la dernière année.

Les touristes jouent aussi un grand rôle dans l’équation, mais la date de leur retour demeure un mystère. La rue Sainte-Catherine est quand même au troisième rang des attractions touristiques les plus visitées de la métropole, après le Vieux-Port et la basilique Notre-Dame, selon Tourisme Montréal.

L’autre inconnue : l’impact des nouvelles habitudes de consommation. Les travailleurs qui reviennent à Place Ville Marie vont-ils continuer à magasiner en ligne et dans leur banlieue après en avoir acquis le réflexe pendant 16, 18, 20 mois ? Pour les reconquérir, les détaillants devront forcément offrir une expérience supérieure.

Lundi, ma collègue Nathaëlle Morissette écrivait que le centre-ville attire des restaurateurs qui profitent de la baisse des loyers tout en espérant une ouverture rapide des salles à manger. C’est tout un pari. Car on ne sait pas de quelle manière la relance s’y déroulera. Sera-t-elle lente et progressive ? Assisterons-nous plutôt à un tsunami de dépenses ? Tous les scénarios sont possibles.

Peter Mammas, propriétaire du groupe Foodtastic (Second Cup, Au Coq, La Belle et La Bœuf), calcule que « ça va prendre deux ans avant que les activités reprennent normalement ». Il faut avoir les reins solides pour assumer un loyer tout ce temps-là, et les taxes municipales qui viennent avec.

Malgré les vents contraires, les détaillants demeurent optimistes. Un centre-ville, c’est difficile à tuer, m’ont-ils dit. Son effervescence ne se trouve nulle part ailleurs. Et c’est résilient. Une qualité qui, justement, a rarement semblé aussi nécessaire qu’aujourd’hui.