Les deux noyaux avaient à peine fusionné que la pandémie les faisait exploser en 160 succursales – et autant d’employés en télétravail.

C’est le principe de la bombe H – H comme humain.

Cortex, de Québec, et nventive, de Montréal, deux firmes spécialisées dans la conception d’applications mobiles et écosystèmes web, ont uni leurs destinées en février 2020.

« On était deux entreprises extrêmement similaires et on a eu l’excellente idée de joindre nos forces pour pouvoir prendre une position encore plus solide dans le marché nord-américain », explique Jean-Michel Lebeau, ex-président de Cortex, maintenant associé et vice-président exécutif chez nventive – le nom conservé par la nouvelle entité.

Cortex comptait quelque 70 employés, nventive environ 90.

« Comme disait Mike Tyson : Everyone has a plan until they get punched in the face », exprime M. Lebeau.

On a tous un plan de match jusqu’à ce que la réalité nous assène son premier coup de poing : « La pandémie est arrivée. »

Tous les employés ont été dispersés à domicile, tant à Montréal qu’à Québec.

« Dans une fusion, il faut établir un nouveau mode de communication, une nouvelle culture, de nouvelles méthodes de travail. Et tout d’un coup, quatre semaines plus tard, on a dit : tout le monde va juste changer sa façon de travailler, point, parce qu’on s’en va tous à distance. Ça a doublé le challenge », relate le vice-président et directeur général Claude Lamoureux, justement engagé pour faciliter la fusion.

Électrons libres

Télétravail ? Pfff ! Facile pour une entreprise spécialisée en développement numérique, pourrait-on croire. Il suffit de déplacer l’ordinateur du bureau à la maison.

L’ennui, c’est que l’ambiance était demeurée vissée aux deux édifices.

La belle atmosphère informelle, créative, décontractée et conviviale que les entreprises en conception numérique vantent pour attirer ou s’attacher leurs talents se résumait désormais à l’armoire à balais que chacun avait transformée en bureau à domicile.

Il fallait unifier cette nuée d’électrons libres, qui auraient pu être tentés de se mettre en orbite autour d’un atome concurrent. La nouvelle nventive devait convaincre ses employés de demeurer chez elle, c’est-à-dire chacun chez soi en confinement.

« Les modes de communication ne sont plus les mêmes, l’informel n’existe plus et on doit formaliser l’informel, on doit réussir à développer et à garder de la culture, un sentiment d’appartenance, une proximité avec les gens », décrit Claude Lamoureux.

L’entreprise avait déjà commencé à définir et harmoniser les valeurs des deux entités, en créant notamment des comités de pratique.

Désormais, non seulement ces comités se réunissaient à distance, mais ils étaient atomisés en autant de participants.

« Nous nous sommes efforcés de structurer les réunions, de nous assurer que les équipes se rencontrent en dépit de la distance, pour souder les différents départements », décrit Jessica Frigault, vice-présidente à l’exploitation.

Un temps limité était alloué à chaque point à l’ordre du jour, ce qui laissait ensuite davantage de place à l’expression des préoccupations et intérêts personnels.

L’aimant

La nouvelle entreprise a tout de même perdu une dizaine d’employés pendant la pandémie.

« Il y a des gens qui sont partis en se disant : “travailler de la maison pour nous ou pour un autre, c’est pareil” », raconte Claude Lamoureux.

Certains sont cependant revenus « parce qu’en réalité, non, ce n’est pas parce que tu travailles de la maison que la vie au travail est semblable partout ».

L’entreprise devait tout de même convaincre de nouveaux employés de venir travailler chez elle, c’est-à-dire dire chez eux.

« Faire ça à distance, ça a été quelque chose de très challengeant », reconnaît-il.

Mais un aimant commençait à agir, quelque chose s’approchant d’une ambiance de travail commençait à s’installer, même désincarnée et virtuelle.

Pour « formaliser l’informel », l’entreprise a organisé des rencontres où les employés sont conviés à présenter leurs expériences et leurs passions.

« Tu as un intérêt personnel pour la musique ? On se fait une invitation de groupe, on s’en parle, on partage l’info, on crée des forums de discussions », illustre Claude Lamoureux.

Le club social a été doté d’un budget « très conséquent » pour faciliter l’organisation de ces évènements, souligne Jean-Michel Lebeau, qui donne l’exemple de « cabanes à sucre virtuelles, avec du rigodon virtuel et des courses de billes virtuelles ».

« Beaucoup de ces initiatives sont venues des équipes, ajoute son collègue. Notre rôle a été de faciliter tout ça. »

Des équipes… Voilà qui rappelle de brûlantes confrontations sur la glace.

Le mélange Québec-Montréal aurait pu être détonnant.

« Les guerres de tranchées Montréal-Québec ? J’ai vraiment l’impression qu’avec ce qu’on a vu la dernière année, tout le monde a mis de côté ses a priori, ses préjugés dans la façon de travailler ou envers les autres, ses insécurités, pour lancer un nouveau projet, une nouvelle job dans une nouvelle business », constate plutôt Claude Lamoureux.

Unisson

L’entreprise joue actuellement de tous ses atouts pour pourvoir 40 postes, car en dépit de la crise, elle a décroché de nouveaux contrats.

« C’est ça qui est fou ! En pleine pandémie, on a réussi à développer des clients américains et anglais, des clients d’envergure », s’exclame Claude Lamoureux.

C’est toutefois un contrat très local qui semble susciter le plus de satisfaction.

Conçue pour et avec l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), la première plateforme de prévention et d’intervention en ligne au Québec, suicide.ca, a été lancée en novembre dernier.

C’est « une plateforme qui rend nos équipes très fières, qui permet en ces temps difficiles d’offrir du support aux gens qui en ont besoin et qui a un impact social très important », relève Jean-Michel Lebeau.

« Honnêtement, comme entrepreneur, c’est la situation parfaite où on peut vraiment faire le bien à travers notre entreprise. »

Une forme de solidarité et d’unisson. Malgré l’éparpillement.

> Consulter la plateforme en ligne de prévention du suicide suicide.ca