On les jette littéralement par millions. Ils jonchent le sol, traînent sur les trottoirs et dans le métro.

Pas étonnant qu’au Québec comme partout dans le monde, on se creuse la tête pour savoir quoi faire avec ces nouveaux compagnons de nos vies que sont les masques médicaux. Surtout quand on réalise qu’ils sont composés d’un matériau fossile, le polypropylène. Et qu’il n’est pas idéal de les enfouir, encore moins de les brûler.

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Exxel Polymers, à Bromont, est la seule entreprise québécoise qui recycle et revalorise des masques à usage unique.

Pourtant, aussi attrayante soit-elle, l’idée de recycler les masques jetables est un casse-tête environnemental, parce qu’il y a un hic : un masque médical coûte environ 7 cents et il faut compter, dans la meilleure des hypothèses, 15 cents pour le recycler.

Des produits qui coûtent plus cher à recycler qu’à acheter, c’est rare, sauf peut-être dans le cas de matières extrêmement dangereuses comme les déchets nucléaires. Et pourtant, ce coût de 15 cents, c’est celui de la meilleure solution de recyclage offerte au Québec, celle de Go Zero, deux fois moins chère que le système de TerraCycle, entreprise américaine critiquée pour l’opacité de ses procédés.

Le coût du recyclage des masques varie entre 8000 $ et 20 000 $ la tonne, en fonction des entreprises, des procédés et des quantités.

« Ça commence à faire cher pour du polypropylène qui vaut peut-être 10, 15 ou 20 fois moins la tonne pour de la résine vierge. La résine recyclée vaut encore moins cher », affirme Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.

À ce prix-là, le jeu en vaut-il la chandelle ?

En se basant sur la solution de l’entreprise de Magog Go Zero, créée par MedSup, importateur d’équipements de protection individuelle (EPI), La Presse a posé la question à des experts du recyclage. Si certains croient que cette option est intéressante, plusieurs se demandent si le problème auquel on veut s’attaquer est prioritaire et si la solution est la bonne.

À la recherche de solutions

En gros, le système de Go Zero repose sur la vente de boîtes en carton, destinées aussi bien aux entreprises, aux particuliers, aux municipalités qu’aux associations ou aux écoles. Les boîtes sont vendues de 19,99 $ à 1549,99 $, selon leur taille, et peuvent accueillir de 100 à 10 000 masques.

Une fois pleines, elles sont ramassées à des points de collecte : Montréal, Magog, Sherbrooke, Bromont, Sorel-Tracy ou Alma. Puis, elles sont acheminées par la route vers les installations d’entreprises partenaires comme Défi Polyteck ou Groupe Coderr, capables de séparer les différents composants des masques : barrette nasale, élastique et carré de polypropylène.

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Chez Exxel Polymers, à Bromont, les masques sont transformés en billes de plastique.

Depuis quelques semaines, les parties faites de polymère sont envoyées chez Exxel Polymers, à Bromont, où elles sont déchiquetées, puis transformées en billes de plastique, qui seront revendues à des fabricants qui pourront les faire fondre pour les réutiliser.

« On met ça dans nos produits, explique Éric Fradette, président d’Exxel Polymers, spécialisée dans le recyclage des matières plastiques. On le fait fondre, on le filtre et on le nettoie. Puis, on fait des billes avec ça. On est la seule entreprise au Québec qui fait le recyclage et la revalorisation des masques. »

Exxel Polymers a la capacité de recycler de 40 à 50 millions de masques par jour. Mais les quantités recyclées depuis le début de l’opération sont encore très limitées.

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Éric Fradette, président d’Exxel Polymers

Selon le président de Go Zero, Eric Éthier, qui porte aussi le chapeau de président de MedSup, moins de 1 % des masques en circulation sont recyclés.

« Le seul problème qu’on a, c’est à la collecte, souligne M. Éthier. On manque de masques. Ça fait des mois et des mois qu’on cogne aux portes des différents ministères, tant à Québec qu’à Ottawa. On dit : voyons donc, ça n’a pas de bon sens, il faut considérer les masques comme un gisement qui offre une belle opportunité et, enfin, une belle histoire de recyclage au Québec. »

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Eric Éthier, président de MedSup Canada et de l’entreprise de recyclage de masques Go Zero

À part Go Zero, trois autres entreprises offrant des services de récupération de masques et d’équipements de protection individuelle sont répertoriées par Recyc-Québec. Mais selon Marc Olivier, professeur et chercheur en gestion des matières résiduelles à l’Université de Sherbrooke, Go Zero est de loin la plus intéressante sur le plan environnemental.

« L’ensemble de l’opération est souhaitable », juge-t-il.

« Présentement, pour des gens qui ont une sensibilité environnementale, on est dans la désespérance totale par rapport à ce qu’on est en train de vivre en période de pandémie. On a un gigantesque gaspillage de matières plastiques. Tout ça fait qu’il y a lieu d’essayer de trouver une solution. »

Pour ce qui est du prix demandé par Go Zero, soit 15 cents le masque, M. Olivier reconnaît que c’est cher. « Mais il faut payer le prix pour être capable de mettre en place quelque chose. Et c’est la moitié du prix de ce que d’autres nous proposent », note-t-il.

25 millions pour les masques des écoles

Mario Laquerre, enseignant au Centre universitaire de formation en environnement et développement durable de l’Université de Sherbrooke, salue aussi l’initiative de Go Zero.

« C’est intéressant qu’une compagnie décide enfin au Québec de s’engager dans le recyclage d’un produit qui est problématique », dit-il.

Le problème est ailleurs : « Est-ce qu’on devrait s’attaquer au produit ou est-ce qu’on devrait s’attaquer au recyclage ? »

Les masques, ce n’est pas une catastrophe écologique. Ce sont des quantités infimes. On jette, annuellement, au Québec, entre cinq et six millions de tonnes de déchets. Ce n’est pas quelques masques qui vont faire une grosse différence. Si on ne jetait aucune matière au Québec, je dirais : OK, on s’attaque aux masques. Mais on jette au moins cinq millions de tonnes de déchets.

Mario Laquerre, enseignant au Centre universitaire de formation en environnement et développement durable de l’Université de Sherbrooke

Si on en parle tant, c’est parce qu’ils sont dans l’œil du public. On se sent obligé de trouver des solutions pour les récupérer. C’est ce que le ministre Jean-François Roberge a fait en annonçant à la mi-janvier que les dépenses encourues pour le recyclage des masques portés par les élèves et les enseignants seraient remboursées aux centres de services scolaires. Une mesure estimée à environ 25 millions de dollars.

Cette situation devrait toutefois se résorber avec la fin des mesures sanitaires, croit Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets : « Dans un an, on n’en parlera plus. »

« Tout ça peut fonctionner seulement parce que des gouvernements, des municipalités ou des centres de services scolaires sont prêts à sortir le chéquier, remarque-t-il. Sans pandémie, sans apport gouvernemental à coups de millions, il n’y aurait aucun marché pour la récupération et le recyclage des masques, à part pour des secteurs très nichés. »

« Wô, minute ! »

Le spécialiste de la gestion des matières résiduelles Mario Laquerre estime que l’argent du gouvernement serait plus utile ailleurs.

« Dans une école secondaire, où il y a une cafétéria, on doit jeter 50 fois plus de matières organiques que de masques. Là, du jour au lendemain, on dit qu’il faut absolument qu’on mette 25 millions dans le recyclage des masques. Wô, minute ! C’est stupide ! C’est une vue très, très, très minime du problème. »

Le recyclage des masques n’est pas une bonne idée, dit-il. « C’est à peu près la pire des mauvaises idées, c’est-à-dire de se concentrer uniquement sur un produit alors qu’on devrait se concentrer sur toute la gestion des matières résiduelles dans les entreprises, que ce soit au niveau scolaire, au niveau des services sociaux ou personnellement. »

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Que faire pour limiter les dégâts, à part utiliser des masques réutilisables ?

Une solution pourrait être d’inclure une somme dans le prix du masque qui couvre le coût du recyclage pour obliger ceux qui l’achètent à payer pour ce service.

« On le fait déjà au Québec, rappelle M. Laquerre. Par exemple, quand on achète un pneu, on paye 3 $ qui couvrent 100 % des frais de recyclage. Donc, vendons les masques deux ou trois fois plus cher pour financer le masque et le recyclage. Les gens vont faire plus attention ; ils vont arrêter de les jeter. »

En attendant, tout comme Recyc-Québec et la Santé publique, le Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets pense que « la moins pire des choses, et non pas la meilleure », c’est de jeter les masques à usage unique de façon sécuritaire, « à moins qu’on soit prêt à payer 10 000 $ la tonne ou 15 sous le masque pour les faire traiter par Go Zero ».